Faut-il donner valeur officielle aux seuls indices constitutifs des coûts de revient par poste ou élargir la démarche par spécialité ? Cette question divise les organisations professionnelles. Tout a commencé avec le conflit de septembre, lorsque Matignon demande à la DTT (Direction des transports terrestres) d'agir en faveur d'une meilleure répercussion des hausses de coûts subies par les transporteurs sur leurs tarifs. Un groupe de travail composé des organisations professionnelles de transporteurs et de représentants des chargeurs est mis en place. Parmi les pistes explorées, un principe est retenu: la publication au Journal Officiel d'une série d'indices de référence concernant l'évolution des coûts de revient du transport routier de marchandises. Une telle pratique existe déjà pour le secteur de la construction. Elle apparaît même naturelle aux yeux de l'Unostra: « à partir du moment où l'objectif recherché est de donner aux entreprises une batterie d'outils destinée à faciliter la revalorisation de leur prix de vente, la logique commande de donner à ces outils un caractère officiel ».
Deux séries d'indices pourraient être publiées sans difficultés majeures. Un premier bloc comprendrait des éléments économiques à caractère général: prix à la consommation, produit intérieur brut... Le deuxième comporterait une demi-douzaine d'éléments communs à l'ensemble des transports routiers tels que l'évolution de la masse salariale (revalorisation des salaires conventionnels), du prix des carburants (indice DYHCA du ministère de l'Industrie), du coût d'achat des matériels et du crédit. La Fédération nationale des transports routiers (FNTR), la Fédération des entreprises de transport et logistique de France (TLF) et l'Unostra soutiennent ce volet du projet. Même les chargeurs de l'AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) n'y verraient pas d'inconvénients. Les divisions apparaissent avec la volonté de certaines fédérations d'aller plus loin dans la démarche. La FNTR souhaite en effet rendre publics des indices synthétiques par activité ou spécialité (transports de lots en longue distance et en courte distance, messagerie, location, déménagement, température dirigée, matières dangereuses, moins de 3,5 t...). Des indices qui, selon ses voeux, prendraient en compte les conditions d'exploitation observées en entreprise à l'instar de ceux déjà élaborés par le Comité national routier (CNR). Pour les autres, « il faudra poursuivre dans cette voie en élargissant le panel des entreprises enquêtées ». L'organisation professionnelle affiche un objectif : « aider les exploitants à ne pas sous-estimer certaines dépenses et leur donner des arguments puissants face à leurs clients ». L'Unostra se dit également favorable à la publication d'indices synthétiques qui « permettront aux sociétés de transport de se positionner au sein de leur activité » à la condition expresse de leur fiabilité et leur représentativité incontestables. Aussi les travaux du CNR devront s'effectuer sur la base d'un échantillon « bien sélectionné et le plus représentatif possible afin d'éviter le risque de trop gros écarts en fonction des normes d'exploitation des transporteurs » souligne Christian Rose, son secrétaire national.
TLF s'oppose, quant à elle, à cette publicité, refusant de perdre la maîtrise de ses propres indices « messagerie » et « distribution » (voir encadré) au profit du CNR. « L'élaboration d'indicateurs entre dans le rôle d'une organisation professionnelle. Les nôtres sont reconnus et élaborés en transparence totale avec nos adhérents » souligne Hervé Cornède, délégué général. « Ils s'inscrivent dans la réflexion économique que nous menons sur la productivité en intégrant des paramètres tels que les conséquences indirectes de la réduction du temps de travail, les difficultés de livraison ou les retours de palettes. Nous ne voyons donc pas l'utilité de développer des outils synthétiques tels qu'ils sont proposés». Par ailleurs, TLF argue d'une part du manque de pertinence de nouveaux indices qui, impliquant une pondération des différents coûts constitutifs, « ne recouvriraient que très peu de prestations effectives». Enfin, en partisan du libéralisme, elle craint que ne s'amorce ainsi un système de régulation économique « qui n'aiderait pas les entreprises». Selon elle, de tels indices risquent de perturber les négociations tarifaires « en handicapant les entreprises qui parviennent à obtenir des hausses de prix plus avantageuses ». Ainsi, « comment inclure dans un indice global, la nécessaire revalorisation des marges ? » argumente TLF.
Contre-argumentaire de la FNTR et de l'Unostra: ces éléments de référence ne constituent que des indices d'évolution et non de niveau tarifaire. « Les relations commerciales entre transporteurs et chargeurs se bâtissent dans un contexte de liberté des prix sur lequel il n'est pas envisagé de revenir » affirment-elles de conserve. Une manière de rassurer les chargeurs qui, pour l'heure, se refusent à entrer dans ce débat. « Le ministère des Transports nous a demandé de formuler une position officielle pour le 17 janvier. D'ici là, nous préférons nous abstenir de toute prise de position », indique Didier Léandri de l'AUTF. Reste qu'au delà de simples outils statistiques donnés aux entreprises pour revaloriser leurs tarifs, ces indices « pourront servir d'appuis à des clauses d'indexation des prix dans les contrats », reconnaît le secrétaire national de l'Unostra. Une perspective que les chargeurs pourraient ne pas envisager favorablement par crainte qu'une corrélation automatique entre niveau des indicateurs et revalorisation des tarifs puisse s'établir. Quant à l'éventualité que les lois « anti-dumping » (loi de 1995 sur les prix abusivement bas, textes sur la co-responsabilité des donneurs d'ordres et sur la sous-traitance de 1992) viennent ultérieurement à s'appuyer sur ces données, elle n'est pas écartée. Sur ce dossier, « chacun est dans son rôle », constate au final la FNTR qui compte sur Matignon et la DTT pour faire aboutir son point de vue. Réponse le 5 février lors d'une ultime réunion du groupe de travail.
La Direction des Transports Terrestres et la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) ayant abandonné la diffusion d'indices d'évolution de coûts, seules deux sources subsistent : le Comité national routier (CNR) et la Fédération des entreprises de transport et logistique de France (TLF) via son conseil national de la location (CNL). D'où la bataille qui se joue actuellement entre FNTR-Unostra en soutien du CNR et TLF en faveur du CNL.
Outre son indice mensuel d'évolution du prix de revient en grande distance (marchandises diverses en savoyarde 40 t), le CNR développe des coûts trimestriels de référence moyens par spécialités (camion remorque grand volume en 26 et 40 t ; porteur fourgon 9 t ; porteur savoyarde 11 à 13 t; tracteur semi remorque frigo 40 t; tracteur semi remorque benne TP 40 t; tracteur semi remorque benne céréalière grand volume 55 m3; camion-remorque porte-voiture 35 t ; tracteur semi-remorque châssis porte-conteneurs 40 t; tracteur citerne inox et bicontronique liquide alimentaire 40 t). Ils reposent sur l'observation des conditions d'exploitation et des composantes de coûts de panels d'entreprises.
Les indices CNL élaborés par la branche « route, logistique et location de véhicules industriels » de TLF portent sur la location sans conducteur et les prestations avec conducteur (location et transport industriel). Les pourcentages d'évolution sont ventilés par activité « route » et « distribution » avec ou sans conducteur. Ils sont calculés selon la méthode CNL sur la base d'une flotte de référence.
L'enquête messagerie de TLF a été lancée en 1993 par l'ex-Fédération des organisateurs-commissionnaires de transport (devenue partie intégrante de TLF) en partenariat avec le Service économique et statistique du ministère des transports. Elle opère une triple segmentation : messagerie nationale traditionnelle et express, messagerie internationale. Les variables étudiées sont le tonnage expédié, le nombre d'envois, le chiffre d'affaires hors taxe correspondant. L'échantillon interrogé comprend environ 28 groupes. Un panel qui, selon TLF, assure une représentativité, en termes de chiffre d'affaires, de 63 % pour les activités nationales.