De mémoire de transporteur routier, on n'avait jamais vu ça ! Les gros, les petits, les moyens, main dans la main pour bloquer les routes. Une opinion publique solidaire. Des conducteurs compatissants. Et pour finir, un ministre ex-cheminot qui fait des cadeaux à la route ! Tout ça à cause d'un pétrole qui n'en finissait pas de flamber, réduisant à peau de chagrin la cagnotte des entreprises en gonflant celle de Bercy. On a frôlé la jacquerie !
Est-ce une véritable nouveauté ? Depuis un fameux syndrome chilien on sait que si les paysans font gagner une élection, les routiers, eux, peuvent la faire perdre. Et que si les routes appartiennent à l'État, la rue elle, appartient à ceux qui y descendent. Non, tout ça était attendu à défaut d'être prévisible.
En revanche, l'an 2000 nous a réservé une belle surprise, inattendue et pourtant bien prévisible : la pénurie de conducteurs. On la craignait ou on l'espérait, sans trop y croire. Moins de forçats de la route mais aussi moins de candidats à ce qu'ils imaginent encore être le bagne. Un manque de conducteurs entraîne un manque de camions. Ajouter la flambée du gazole et une bonne dose de croissance pour obtenir la recette d'une hausse des prix de transport de 15 % depuis un an. Sans précédent !
Bien sûr, dans un marché libre, les prix finissent toujours par rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande. Le cours du baril de pétrole finit par baisser, la croissance par se tasser et les conducteurs par être plus nombreux car mieux payés.
En attendant, ils regagnent aujourd'hui leurs titres de noblesse, conquis en d'autres temps. Le nouveau millénaire a fabriqué des mots nouveaux. Les routiers « sympas » sont devenus attentifs à leur « employabilité » et la « supply chain » a remplacé la Tarification Routière Obligatoire. Les conducteurs ont à nouveau le choix de leur emploi et se font respecter des « patrons ». Les clients, quant à eux, n'ont plus vraiment le choix de leurs transporteurs et respectent leurs prix. Finalement, le monde n'a fait qu'un tour, c'est ce qui s'appelle une révolution.