D'emblée, un constat s'impose. Le transport de déchets est très largement dominé par ceux que l'on nomme désormais les intégrateurs, les grands majors du traitement des déchets que sont Onyx-CGEA (Vivendi) et Sita (Lyonnaise des Eaux). « Ces groupes reprennent des pme, créent des filiales et s'attaquent à des niches comme le transport des déchets toxiques ou hospitaliers. Bref, ils cannibalisent le transport des déchets », affirme Bernard Gerardin, directeur de Gerardin Conseil. Entre ces deux mastodontes, qui se partagent les trois quarts du marché du traitement des déchets, la bataille fait rage. Un autre opérateur national est pourtant présent, la Coved, filiale de la Saur (Groupe Bouygues).
La concentration est de mise. Un des derniers grands indépendants, le montpelliérain Nicollin, a été repris par la Lyonnaise des Eaux. Mais l'acquisition la plus spectaculaire a sans doute été la prise de contrôle par Sita, en juin 1997, des positions françaises du numéro 1 mondial du déchet, l'américain Waste. Outre la collecte et le transport, les opérateurs se disputent les autres activités liées aux déchets (recyclage, incinération, stockage, valorisation).
Ces prestataires proposent donc à leurs clients, collectivités locales et industriels, une large palette de services. L'offre est devenue globale. La réorganisation de CGEA (environ 18 MdF de CA) est à ce titre révélatrice. La rivalité entre ses filiales est aujourd'hui de l'histoire ancienne.
La CGEA est devenue sur le plan opérationnel l'unique maître d'ouvrage. Sa marque générique Onyx, qui n'était vouée qu'à la collecte, au tri sélectif, au recyclage, au stockage en centre d'enfouissement, s'ouvre désormais au compostage et à l'incinération.
Des opérations sous-traitées. L'offre globale est donc déterminante pour décrocher un appel d'offres. « L'industriel, qui a obligation de procéder au traitement de ses déchets, fait appel à un prestataire unique. Celui-ci présente une offre complète allant de l'enlèvement, en passant par l'élimination et l'enfouissement. La réflexion est identique pour les déchets ménagers. Ils sont régis par des syndicats intercommunaux qui s'adressent à des prestataires - Lyonnaise et Vivendi - pour des missions de délégation de service public », explique Bernard Gerardin. Une fois le contrat en poche, l'opérateur peut sous-traiter certaines opérations de transport. « Si la phase collecte est le plus souvent assurée par les intégrateurs, les transporteurs travaillent généralement du centre de transfert (opérations de tri des déchets) à l'unité de traitement », précise Christophe Ripert.
En dépit de l'absence de statistiques, la sous-traitance parait être une pratique courante dans le transport de déchets. Ce mode de fonctionnement est par exemple très utilisé par la Lyonnaise des Eaux qui, contrairement à Onyx via la Sarp, ne dispose pas de filiale spécialisée dans le transport de déchets. Les Transports Boudon, une pme du Gard (20 MF de CA, 30 personnes, 23 véhicules), travaille en sous-traitance pour le groupe Nicollin mais également pour Bouygues.
Elle assure en revanche pour son compte le transport des ordures ménagères de la communauté de communes d'Alès. « Nous transportons 30 000 tonnes d'ordures ménagères par an. Nous chargeons les ordures à Alès pour les transporter vers un centre de transfert puis vers la décharge », explique le pdg, Denis Boudon. « Dans un petit périmètre géographique, il est possible d'échapper à la main-mise des groupes. Une liberté en trompe l'oeil puisque les volumes traités, forcément réduits, n'intéressent pas nos grands concurrents », confie cet adhérent de France Benne.
Globaliser les prestations. A côté de la sous-traitance, certains transporteurs préfèrent opter pour une démarche partenariale. Telle celle entamée par Ourry avec les grands opérateurs du secteur. Avantage pour le transporteur de Seine-et-Marne : pouvoir présenter l'offre globale tant recherchée. Car c'est bien le défi qui se présente actuellement aux transporteurs routiers spécialisés dans le déchet : pour évoluer à l'ombre des grands, l'enjeu est de globaliser les prestations.
Certains transporteurs ont pris les devants en créant des filiales pour élargir leur domaine d'intervention. Les Transports Boudon ont, par exemple, repris en 1995 Cevennes Déchets (4 MF de CA), entreprise spécialisée dans la collecte, le transport et le traitement des déchets industriels. Travaillant en direct avec les industriels, cette société met à leur disposition des caissons afin de favoriser le tri et la revalorisation des produits.
Elle traite ainsi plus de 8 000 t de déchets industriels par an, sans compter les 2 000 t de cartons, 4 000 t de végétaux et 1 000 t de papiers. « Dans le domaine des déchets industriels, la proximité est également un atout pour les pme », souligne Alain Boudon qui se prépare à investir 10 MF dans un centre de tri.
Implantée à une quinzaine de kilomètres de Reims, l'entreprise Gotravel (25 MF de CA), dirigée par Guy Gournoff, transporte les déchets ménagers de l'agglomération de Châlons-sur-Marne (2 500 t/mois).
Ses bennes à fond mouvant chargent dans les centres de transfert puis déchargent dans les centres d'enfouissement techniques (CET). Mais c'est une autre société, la SA Gournoff (55 MF de CA), qui répond aux appels d'offre (traitement, transport, l'élimination des ordres ménagères et des déchets industriels banals de classe 2), pour confier, ensuite, la partie transport à la Gotravel.
Si des transporteurs routiers ont été contraints de monter des structures parallèles afin de globaliser leurs prestations, certains spécialistes indépendants du stockage et du traitement des déchets ont fait le chemin inverse. C'est notamment le cas de Séché en Mayenne qui réalise un chiffre d'affaires consolidé de 271 MF. La société est dirigée par Joël Séché, un patron atypique qui vient du prêt-à-porter féminin avant de reprendre, en 1981, l'entreprise de terrassement de son père.
Son métier de base est le stockage et le traitement des déchets développé, depuis 1985, par Séché Echo-Industrie (65 % du CA). Une entreprise qui gère notamment deux CET de classes 1 et 2.
A côté de Séché Réalisations (18 % du CA), une société spécialisée dans la réhabilitation des sites, Séché exploite, depuis 1993, une activité de transport routier. « Séché Transports a été créée en appui de l'activité principale, à la demande des clients qui souhaitaient bénéficier d'une offre globale. Le transport est donc une activité intégrée », souligne Juliette Aubert.
Selon la responsable communication du groupe mayennais, il est aujourd'hui impossible de s'improviser transporteur de déchets : « les contraintes techniques et réglementaires sont trop nombreuses ».
Double culture. Un avis que les spécialistes du secteur partagent de plus en plus. Notamment Jean-Philippe Routiot, en charge des déchets industriels spéciaux chez JB Bonnefond Environnement, une entreprise de la banlieue lyonnaise (55 MF de CA) spécialisée dans l'assainissement, le nettoyage industriel et la collecte de déchets industriels spéciaux. Pour lui, les transporteurs routiers doivent désormais maîtriser la double culture du transport et des déchets. L'autre handicap tient au prix des matériels. « Une citerne sous vide coûte deux fois plus cher (de 700 à 900 kF) qu'une citerne classique chimique. De plus, les véhicules sont équipés d'une pompe de dépression coûtant environ 150 KF. Pourtant, il n'est pas rare de voir des transporteurs arriver sur le marché avec des prix cassés. Franchement, je ne sais pas comment ils peuvent encore tenir », lâche Jean-Philippe Routiot. Avec son parc composé de 50 cartes grises, JB Bonnefond Environnement réalise en compte propre le transport, en vrac benne et vrac citerne, de liquides et de pâteux. « Nous n'assurons pas qu'une simple opération de transport. Nous avons des prestations sur sites tel que le pompage des fûts. Les conducteurs ne sont pas de simples chauffeurs routiers qui attendent dans leurs camions. Ils sont formés et équipés selon les produits à manipuler». Christophe Letellier, responsable de la direction de la recherche de Sita opère une distinction.
Pour lui, le transport de déchets ménagers implique des modalités d'enlèvement « complexes et variées ». Contrairement à celui de déchets industriels où l'activité transport repose encore sur la simple rotation d'une benne vers un exutoire. Pour combien de temps ?
« Le contenant est parfois plus dangereux que le contenu ». « Le transport de déchets n'impliquant pas le juste-à-temps, l'omnipotence de la route ne se justifie pas ». Les pourfendeurs du transport routier ne manquent pas d'arguments. Seulement voilà, la concurrence, fluviale ou ferroviaire, est particulièrement atone dans le secteur du transport de déchets.
Transportant 0,85 % des déchets, pour la plupart issus du BTP en milieu urbain, le transport fluvial joue un rôle mineur. Des bateliers de petite taille, une difficulté à massifier les flux, expliquent en partie sa marginalisation.
Mais c'est surtout du côté de Voies Navigables de France (VNF) qu'il faut chercher la véritable explication. A l'instar de Réseau Ferré de France, VNF se contente de gérer les infrastructures. Dépourvue de bras armé commercial, elle peine à vendre un service de fret par voie d'eau. En revanche, son patrimoine foncier reste considérable. « Les possibilités de créer des sites d'incinération sont énormes », précise un responsable de l'Ademe.
Si le transport fluvial sommeille, le transport ferroviaire a, lui, pris le train des déchets en marche. Créée en février 1997, Ecorail est la filiale de la SNCF (détenue à 100 % par la holding CTT Sceta) dédiée au transport de déchets ménagers et industriels. Ecorail a succédé aux activités précédemment développées par l'Agence Nationale déchets-recyclage de Fret SNCF (100 MF de CA en 1997). « La SNCF achemine depuis longtemps des déchets mais n'avait pas jusque-là d'action commerciale », rappelle Laurent Marseille, directeur général adjoint d'Ecorail, qui a terminé l'année sur un chiffre d'affaires de 50 MF.
Dans l'esprit de la SNCF, la filialisation d'Ecorail doit lui permettre de proposer aux collectivités locales et aux industriels, qui ont la responsabilité du traitement des déchets, un service complet. Ainsi, Ecorail se veut être un véritable commissionnaire de transport tout en intervenant comme opérateur pour l'ensemble du secteur des déchets.
Parmi ses activités, Ecorail conçoit et vend des services de transport multimodal. « 99 % des contrats en cours relèvent du multimodal à l'image du transport des déchets ménagers et industriels de l'agglomération marseillaise ». Selon Laurent Marseille, la conquête du marché des déchets doit conduire Ecorail vers les 200 MF de chiffre d'affaires en 2002.