Les femmes, moteurs dans le TRM

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À l’approche de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, nous avons parlé de féminisation dans le transport avec quelques figures féminines du secteur mais aussi des chefs d’entreprise qui souhaitent faire un pas vers plus de mixité.Dossier préparé par Florence Falvy

Les femmes qui travaillent dans le transport souffrent-elles de préjugés ? Les mentalités évoluent-elles ? La misogynie est-elle une réalité ? Autant de questions que nous avons posées à des dirigeantes, conductrices, exploitantes ou encore responsables d’entrepôt et d’agence.

Parmi elles, un point commun. La passion du métier et, bien souvent, une histoire de famille. C’est le cas de Cécilia Dioley. Bien qu’issue d’une famille de transporteurs (son père Jean-Louis Dioley dirige les Transports Clot), elle aspirait à une carrière militaire. « Mais un conseiller d’orientation m’a suggéré d’opter pour une filière plus classique », explique-t-elle. Elle démarre alors un BTS assistante de gestion PMI/PME en alternance aux Transports Gérard. « Ce qui m’intéressait le plus : gérer le planning des camions. » Puis elle arrive aux Transports Idoux en 2008 en tant que responsable d’exploitation avec pour objectif de reprendre un jour l’affaire. C’est chose faite en 2012. « En tant que fille de transporteur, l’accueil n’a pas toujours été évident. Même si je me suis toujours sentie à ma place, j’ai senti qu’une femme a rarement droit à l’erreur. »

Reprendre l’entreprise familiale ne faisait pas non plus partie des plans de Christine Jaouën. Pourtant, après quinze ans dans la capitale, un passage au sein d’un cabinet d’audit et d’un établissement bancaire, elle a pris la succession de son père. « L’appel s’est fait ressentir », justifie-t-elle. Elle renoue alors avec ses racines bretonnes et intègre les Transports Jaouën en 2004 (devenus Atlantic Trans-Containers ou ATC) comme directrice avant de prendre la présidence sept ans plus tard. « J’avais envie de laisser mon empreinte managériale, confie l’entrepreneure. Être une femme dirigeante ne m’a jamais posé de difficultés car c’est la compétence qui prime d’abord. » Elle reconnaît en revanche que la mixité est un objectif difficile à atteindre notamment en conduite. « Sur dix CV, il est fréquent d’avoir une seule candidate. Dans notre activité [transport de conteneurs], il n’y a pas de manutention mais ce poste nécessite des découchés, avec des plannings changeants, ce qui n’est pas toujours conciliable avec une vie de famille. » ATC compte en revanche une femme à l’exploitation. « J’essaie autant que faire se peut de féminiser mes équipes. En tant que femme, je me dois de donner la chance aux femmes. »

Autre exemple avec Frédérique Simon qui, à 45 ans, codirige avec son frère les transports éponymes fondés en 1946 par le grand-père. Elle est PDG du site de Rethel (200 personnes) dans les Ardennes. C’est en 1998 qu’elle a mis un pied dans l’entreprise dans le cadre d’un job d’été… pour finalement y rester. « Quand vous arrivez dans l’entreprise à 22 ans, êtes une femme et la fille de, c’est une pression supplémentaire. Il a fallu que je fasse mes preuves. À l’époque, je n’étais pas armée pour ça », confie-t-elle. Et d’ajouter : « Mon père a souhaité que l’on connaisse tous les métiers de l’entreprise avant de prétendre à un poste de direction. Ce cheminement m’a permis d’acquérir de l’expérience, du répondant et de gagner en légitimité. »

D’autres pourraient suivre le même chemin. Aux Transports Marius Fougère, le transport est une passion familiale. C’est Véronique Garel, 60 ans – elle détient 45 % des parts de l’entreprise – qui est aux commandes. Et il est probable que sa fille Anaïs lui succède. En tant que représentante de la sixième génération, la jeune femme de 29 ans est arrivée en 2019 en tant que responsable d’exploitation. Une satisfaction pour sa mère malgré quelques inquiétudes. « Lui laisser les clés de l’entreprise, est-ce un cadeau empoisonné dans le contexte conjoncturel actuel ? », s’interroge-t-elle. Delphine Amare, conductrice chez les Transports Pihen [l’entreprise compte 10 % d’effectifs féminins] depuis bientôt six ans, a quant à elle découvert la conduite aux côtés de son oncle. « C’est lui qui m’a donné l’envie de faire ce métier », se souvient-elle, après une expérience en usine et une période consacrée à élever ses enfants. À 50 ans, elle est la seule femme conductrice au dépôt de Rémy. « Je savais que c’était un milieu un peu machiste. Mais mes collègues se sont toujours montrés respectueux. Ce qui n’était pas le cas de conducteurs d’autres sociétés qui me lançaient “ta place n’est pas derrière un volant, tu ne peux pas rester à garder tes gosses et à faire à manger à ton bonhomme”. Alors, je mettais les points sur les “i” », raconte cette mère de quatre enfants. Aujourd’hui, cette conductrice enchaîne les kilomètres avec deux à trois découchés par semaine. Un choix, selon elle. Ce qui lui plaît : être sur la route. « C’est l’occasion de voir du pays. » Et même si, sur le terrain, ce n’est pas toujours facile. « J’entends parfois des remarques désobligeantes mais je n’y prête plus attention. »

Quand d’autres tombent amoureuses du métier

Bien sûr toutes les femmes évoluant dans le secteur ne sont pas issues d’une lignée de transporteurs. C’est le cas, entre autres, de Sandrine Pinchard, qui codirige Van & Truck avec son mari, chargé des dossiers administratifs et financiers. Une entreprise rachetée en 2018 après quinze ans à diriger des entreprises de transport sanitaire. Une fibre entrepreneuriale qu’elle a héritée de ses parents. « La seule vraie difficulté à laquelle j’ai été confrontée était l’âge, complète celle qui est membre de Women First, un réseau national qui œuvre pour l’ascension des femmes et la féminisation des organisations. Personne ne m’a demandé de faire mes preuves, de monter en compétence et en légitimité mais je pense être atteinte du syndrome très féminin qui veut que nous soyons multitâche. Connaître sur le bout des doigts son métier est aussi un moyen, une armure pour ne pas se faire duper ou flouer. Lorsqu’on est une femme, ne rien laisser au hasard sonne, je pense, comme une nécessité pour asseoir son charisme. » Elle revient sur une anecdote. « Dès les premiers jours dans l’entreprise que je dirige actuellement, j’ai assisté à une “réunion commerciale de passation” entre l’ancien dirigeant, moi-même et le fournisseur de camions qui équipait 100 % de la flotte, se rappelle la dirigeante. Je ne me sentais pas à l’aise. J’ai vite compris que le marché avait été totalement acquis en échange d’invitation à des week-ends très festifs en Allemagne tous frais payés à essayer de grosses cylindrées. Lorsque je leur ai dit que nous allions remettre tous les fournisseurs en concurrence, ils m’ont tous regardée d’un air très surpris à la limite du “pour qui elle se prend !” Mis à part cette entrée en matière, je ne me suis jamais trouvée dans un univers hostile. »

Edwige Bouchery est, elle, arrivée un peu par hasard dans le métier, après avoir d’abord choisi une carrière dans le médico-social. Aujourd’hui, elle copilote l’entreprise éponyme aux côtés de son mari Vincent. « Au début, les chauffeurs m’ont beaucoup testée, raconte la dirigeante, décrivant une situation rencontrée par leur conductrice. Il a fallu montrer que je connaissais le transport et n’étais pas seulement l’épouse de. Tous les jours, je suis confrontée à des propos sexistes. Nous intervenons sur des chantiers. C’est un monde d’hommes avec un avis tranché sur la place des femmes dans la profession. Selon eux, elles n’y connaissent rien. Ils me le disent clairement sans prendre de gants. » « Ils l’ont fait tourner en bourrique et elle est revenue avec les marchandises parce que c’était une femme. Les mentalités n’évoluent pas du tout ! », confie Annick Bartel, qui a fait une grande partie de sa carrière dans la logistique.Elle reconnaît elle aussi qu’être une femme dans ce secteur n’est pas toujours évident. Son expertise, elle l’a acquise sur le terrain, en encadrant des équipes jusqu’à 30 personnes. Voilà seize ans qu’elle travaille au sein du groupe Pihen en tant que responsable d’entrepôt logistique. Elle se souvient de débuts parfois compliqués. Sa présence n’était pas toujours bien vue chez les caristes.

Sur le terrain, en tout cas, les initiatives ne manquent pas pour faire bouger les lignes. À commencer par la démarche “Agir au féminin” qui a pour objectif depuis 2020 de former plus de femmes aux métiers de la conduite. « À ce jour, 25 agences R.A.S Intérim ont proposé des formations et 211 femmes ont été formées aux métiers de la conduite, 72 % dans le TRM, détaille Amel Touag, responsable développement formation de R.A.S Intérim. Parmi elles, 95 % exercent en tant que conductrice PL. On note 90 % de mise à l’emploi post-formation et 2 % d’abandon. En 2022, 72 femmes ont intégré le programme. » À noter que cette initiative va essaimer cette année à Toulouse (31), Rouen (76), Nantes (44), Colmar (68) et en Île-de-France.

Attirer toujours plus de candidates

Issue de la dernière promo à Lyon, Maïssa Benchenti, 28 ans, a décroché son permis PL et SPL. Depuis septembre 2022, elle est en poste chez DB Schenker en intérim. « Mon entourage m’a dissuadée d’emprunter ce chemin convaincu que ce n’est pas un métier pour une femme, trop difficile, témoigne la conductrice. Mais, avide de défis, je me suis lancée et rendu compte qu’il n’était pas nécessaire d’avoir de gros bras. J’ai déjà eu droit à quelques propos sexistes mais je ne les relève pas. » Et quand on lui demande ce qui lui plaît dans ce métier, elle lâche sans hésiter : « la liberté ». C’est aussi un secteur qui favorise selon elle la mobilité interne. Comme elle, Maëlisse Deroubaix, 23 ans, s’apprête à prendre les clés d’un camion. Depuis novembre 2022, elle suit le programme Agir au féminin auquel s’est associé Volvo Trucks Iron Women*. « Depuis toute petite, je monte dans le camion avec mon père, qui travaille dans la filière bois », fait savoir cet ex-agent de sécurité incendie et pompier volontaire. En formation jusqu’à mai prochain, elle intégrera ensuite les Transports Jacquemmoz (69) et partira à la semaine. « C’est plus exigeant ! », pense-t-elle avant de construire une vie de famille. De son côté, Pôle emploi a profité de la Semaine nationale des métiers du transport et de la logistique, en décembre dernier, pour organiser une quarantaine d’événements consacrés à la mixité (neuf webinaires, cinq actions de découverte, dix réunions d’information, sept visites en entreprises, etc.) ainsi que des actions communes avec Geodis (visites d’entrepôts, job datings) et Transdev (formation de cinq demandeuses d’emploi en situation de handicap dans le cadre d’une préparation opérationnelle à l’emploi collective).

Tous les moyens sont bons

Jérôme Jaman, PDG de DMAX (420 collaborateurs) se dit lui très sensible à la parité. Lorsqu’il a créé son entreprise en 2006, sa volonté était claire : « dépoussiérer l’image du déménageur et du déménagement ». L’entreprise emploie 36 femmes sur 298 salariés en CDI. Parmi elles, cinq (sur 224 personnes) sont sur le terrain. Le dirigeant souhaite faire un pas de plus vers l’embauche de femmes et compte sur l’arrivée récente de la nouvelle directrice des opérations France et l’un des cinq membres du comité de direction pour impulser cette dynamique. C’est elle notamment qui va accompagner le lancement du projet de l’académie DMAX. Cette formation itinérante est prévue pour la fin d’année. L’occasion de « donner la parole aux femmes de la société, de sensibiliser le personnel masculin afin de ne pas être dans des préjugés ridicules ». Dans le cadre d’une campagne de communication diffusée en 2022 sur LinkedIn Eurotranspharma (filiale du groupe Walden qui compte 6 000 collaborateurs pour environ 38 % de femmes) a quant à elle demandé à trois de ses collaboratrices de partager leurs expériences. Parmi elles figure Sonia Guieu, 47 ans, responsable d’agence à Nice (41 personnes). Poste qu’elle occupe depuis deux ans. « Être une femme n’a jamais été une barrière. J’ai fait des études en BTS électronique. En seconde, j’étais dans un lycée de 600 élèves et nous étions seulement deux filles. À l’époque, ça n’a pas été un frein. » Mais, selon elle, dans ce métier, il faut avoir de la repartie.

Femme au volant, satisfaction au tournant

Toutes et tous s’accordent à dire que la présence de femmes dans une équipe est une plus-value. Particulièrement au volant. « Elles ont une conduite moins brusque et plus réfléchie », souligne Christine Jaouën chez ATC. « Elles sont méticuleuses et ont un très bon contact avec les clients. Et au niveau administratif, c’est parfait ! », renchérit Frédérique Simon. Pour Jérôme Jaman, elles sont « plus précautionneuses et organisées ». Un véritable atout dans le déménagement. Une femme aux manettes d’une entreprise c’est aussi un vrai plus, d’après Sandrine Pinchard. « Plus axées sur la psychologie, elles ont une grande capacité d’empathie. Lorsqu’il s’agit de négocier, les femmes sont plus cartésiennes, se préparent en amont et s’appuient sur des faits et de la data. » Et les conductrices ? « Elles sont assidues, sérieuses, portent en elles une volonté d’évolution et sont plus calmes au volant. » La cheffe d’entreprise regrette d’avoir si peu de femmes dans ses effectifs (3 %). La faute selon elle à des préjugés qui perdurent. Vincent Bouchery acquiesce : « Notre conductrice qui n’est là que depuis six mois enregistre la meilleure performance sur la consommation de carburant. Aux autres chauffeurs de prendre exemple. »

Ne pas hésiter à pousser les portes d’une société de transport ! Voici le message que la plupart des femmes adressent à celles qui veulent se lancer. Et Sandrine Pinchard de conclure : « Je leur dirais de ne surtout pas s’arrêter aux préjugés. » Mais pas question de prodiguer de conseils sur la conduite. « Je suis persuadée que les femmes savent qu’elles n’ont absolument pas à rougir à côté des hommes, bien au contraire ! »

En chiffres...

• Les femmes ne représentent que 18,5 % des effectifs du secteur transport et logistique.

• Depuis cinq ans, les prestataires logistiques se sont fortement féminisés : 19 % de femmes en 2016 et 31 % en 2021.

• Plus de 54 800 femmes exercent un emploi de conduite, soit 38 % des femmes salariées des entreprises de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

• Près de 11 000 conductrices travaillent dans le TRM (3 % des effectifs de conduite).

Sources : Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique, décembre 2022.

* R.A.S Intérim a signé un partenariat avec VolvoTruck fin 2022 dans le cadre du programme mondiale Iron Women. La première opération a été lancée à Lyon en 2022 ; 8 femmes sont actuellement en formation.

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