Est-ce que la digue de l’exaspération va céder cette fois ? La dernière « sortie » du leader danois, diluant ses annonces comme un supplice chinois, risque de réarmer les chargeurs et les commissionnaires/transitaires de transport dans leur contestation de la légitimité des surtaxes.
Quelques jours avoir étalé sur la place publique la facture carburant (2 Md$ par an), dont il devra s’acquitter pour être en règle avec la convention Marpol sur le soufre, Maersk vient d’annoncer qu’il introduira une surtaxe en guise d’ajustement à cette nouvelle réglementation (effective le 1er janvier 2020) dès le 1er janvier 2019 et facturé séparément du taux de fret. Ces dernières semaines, la plupart des principaux transporteurs mondiaux ont réactivé sur les lignes régulières conteneurisées l’application des fameuses BAF (bunker adjustment factor) pour compenser l’inflation du cours du brent, à hauteur de 30 à 60 $ par EVP. Avec la mention « until further notice » (« jusqu’à prochaine communication »), qui vaut bien souvent « réévaluation mensuelle ».
Il n’en a pas fallu davantage pour que Robert Keen, directeur général de la BIFA (transitaires britanniques) verbalise des pensées ourdies en évoquant « des profits flagrants de la part de compagnies maritimes déterminées à exploiter la situation ».
Le sentiment que tout est prétexte aux frais additionnels ? Injustifiées, les surcharges ? TLF Overseas, syndicat représentant les commissionnaires, transitaires, importateurs et exportateurs, ou son pendant européen European Shippers’ Council, réclament de longue date un dialogue sur la politique tarifaire des armements, dont les ressorts leur échappent faute de transparence. En 2015, ils s’étonnaient d’ailleurs malicieusement que le prix des BAF n’évoluait pas à la baisse alors que celui du baril de pétrole était au plancher depuis quelques mois. Mal venue, la hausse du fuel n’est absolument pas neutre dans les comptes d’exploitation des transporteurs maritimes. À de rares exceptions, ils affichaient tous une rentabilité dans le rouge à l’issue du premier semestre et ils l’ont majoritairement imputé à la hausse du pétrole.
Mais ces « arguments de pure opportunité », selon les mots d’Antoine Sébastien, délégué aux affaires maritimes chez TLF Overseas, ne répondent nullement aux nombreuses questions sur leur mécanisme : délais de préavis (trop courts), méthodes de calculs (complexes), facturation pas claire (selon les compagnies, sous forme de surcharge complémentaire ou intégrée directement au montant de la BAF), empilement (administration fees, peak season surcharges, cleaning fees, sealing fees…)…
Pour l’AUTF, représentant les chargeurs, « les clauses d’indexation contractualisées doivent s’appliquer dans les conditions prévues entre les deux parties dans les contrats à terme », explique Christian Rose, en charge des relations avec les adhérents, qui reconnaît que la légitimité de ces pratiques, quoique bien ancrées dans le monde maritime, est discutable au regard du droit européen de la concurrence.
Pour l’AUTF, la pratique des surcharges « est surtout sans fondement dans la mesure où les compagnies sont couvertes pour les aléas conjoncturels ».
Pour le reste, « cela relève et doit être traité par le marché », résume Christian Rose, qui place le débat ailleurs, sur le plan de l’anticipation, les compagnies étant suffisamment appareillées en instruments d’analyses pour déceler en amont les grandes tendances macro et les risques associés. Peut-être les compagnies maritimes ont-elles péché par un excès de confiance dans le trafic et qu’il leur a fallu un temps avant de comprendre qu’il allait les abuser, entend-on dire chez des analystes anglo-saxons. D’où les réactions dans l’urgence…