Le départ de Jean-Philippe Casanova, délégué général d’Armateurs de France (AdF) depuis le 1er janvier 2022, était connu depuis septembre 2023. Pilote de formation, militant au sein de la profession (présidence de la Fédération française des pilotes maritimes pendant des années), il devait retrouver la station de pilotage de Marseille-Fos où il est rappelé.
L’annonce de son successeur Laurent Martens comme délégué général de l’organisation professionnelle, présidée depuis avril 2023 par Édouard Louis-Dreyfus, intervient donc bien des mois après l’annonce de son retrait.
Retour au grand corps technique avec cette nomination, après un intermède réservé à un naviguant, capitaine C1NM. Laurent Martens est, lui, un Ponts et Chaussées, diplômé 1989 de l’École nationale des Travaux publics et de l’École nationale des Ponts et Chaussées où il a également obtenu un master en management en 1997.
Il est connu pour avoir été directeur adjoint des opérations portuaires à Marseille quand le port phocéen était encore un PAM, un port autonome. Il y a dirigé une équipe de 350 agents opérant un trafic de 25 Mt sur six terminaux, indique son CV.
Trois ans plus tard, il rejoint cette fois un GPM (Grand port maritime) à la Rochelle, dont il sera le premier directeur général. Avant d’être nommé à la tête de celui de la Guadeloupe en 2008, où il restera six années.
Depuis 2013, Laurent Martens supervise les filiales qui détiennent des participations ou le total contrôle de terminaux à conteneurs du groupe CMA CGM, à savoir Terminal Link, détenue avec China Merchants Ports (51%/49 %) et CMA Terminals, filiale à 100 % de CMA CGM. Soit un parc de 60 actifs portuaires revendiqués.
Quelques dossiers acquis
Il arrive chez Armateurs de France, précédé de quelques dossiers à faire aboutir ou à entreprendre.
Jean-Philippe Casanova aura piloté Armateurs de France dans un temps où il a fallu accompagner la lutte contre le dumping social se durcissant sur le ferry en transmanche, laquelle a abouti à l’adoption d’une loi et à la signature d'un décret le 19 mars. Mais son prolongement européen reste un sujet.
Il s’est aussi agi de fournir une feuille de route au gouvernement sur la décarbonation du pavillon français à effectuer dans un délai de deux décennies, mais qui va coûter une fortune et pour lesquels les membres d'AdF auront besoin d’être cofinancés. Sans parler des verrous technologiques à faire sauter. Les carburants n’existent pas. Les technologies ne sont pas disponibles. Les infrastructures sont à créer.
Il a été pour l’instant annoncé de la part du représentant du gouvernement, Hervé Berville, une enveloppe de 300 M€ d’ici la fin du quinquennat dans le cadre de la démarche France Mer 2030, sous la forme de subventions, prises de participations, garanties publiques… Très loin du coût estimé, entre 75 et 110 Md€ sur la période 2023-2050, les solutions décarbonées étant trois à quatre fois plus chères que leurs équivalents fossiles tant en dépenses d’investissement que d’exploitation.
Il a fallu par ailleurs aussi finaliser certains arbitrages fiscaux, comme la possibilité de combiner le crédit-bail, qui facilite le financement de l’achat d’un navire, avec la « garantie projet stratégique », [garantie de la BPI à hauteur de 80 % lorsque les projets visent à recourir au pavillon français], ou encore le suramortissement vert [financement jusqu'à 40 % des surcoûts liés à ces technologies]. Sur le papier, c’est acté. Sur le papier...
Enfin, et le pilote de formation tenait à ce dossier, la revalorisation des minimas salariaux officiers a été négociée mais il reste celle sur les personnels d’exécution.
La liste des choses à faire
Le nouveau délégué général pourrait aussi avoir à reprendre l'ouvrage sur le certificat d'investissement maritime ou autres outils de financement alternatifs permettant de réduire les apports nécessaires en fonds propre, ce qui pourrait s’avérer utile pour faire face à la « montagne d’investissement requis » pour décarboner d’ici 2050 toute la flotte. S’il fallait renouveler la totalité de la flotte française, il faudrait trouver 25 Md€ selon les données d’AdF.
Net wage à renouveler.
Les armateurs bataillent depuis des années pour ancrer définitivement le net wage. Ils ont dû se contenter jusqu’à présent d’une prorogation accordée en 2021. Cette aide équivalente au montant de la part salariale des charges dont les entreprises de transport de passagers sous pavillon français et communautaire s'acquittent pour les marins communautaires qu'elles emploient, a été reconduite pour trois ans supplémentaires et étendue à d’autres catégories d’emplois (officiers, personnels d’exécution) et segments soumis à concurrence internationale. Mais l’échéance frappe à nouveau à la porte.
Qu'adviendra-t-il de la taxe au tonnage ?
Cachez cette taxe au tonnage que certains députés ne sauraient voir. L'exception fiscale, que certains rangent dans la catégorie des niches à priviléges, s’est trouvé embarquée durant la pandémie dans les débats sans fin autour de la notion de superprofits. La taxe au tonnage est d'abord et avant tout un système quitte ou double. En l'occurrence, les débats vont perdre leur fondement à la lumière des temps difficiles qui pourraient s'annoncer.
« Elle est absolument indispensable aux armateurs comme un des pieds d’un trépied fiscal qui comprend l’exonération des charges sociales et le 39 C [l’article 39 C du CGI prévoit l’amortissement dégressif du navire avec un certain coefficient sur une période donnée dont la durée conditionne la compétitivité du régime de taxation au tonnage, NDLR] » a insisté Édouard Louis-Dreyfus, lors de son élection à la tête d'Armateurs de France, rappelant aussi que le succès profitable de quelques-uns occultait les difficultés de beaucoup d'autres.
Le président de Brittany Ferries, Jean-Marc Roué, fer de lance sur ce sujet comme sur celui du dumping social, rappelle régulièrement que l’outil est européen. « Les deux premiers États membres à mettre en œuvre le net wage et la taxe au tonnage, à savoir l’Italie et le Danemark, sont aussi ceux qui ont dans leurs murs les numéros un et deux de l’armement conteneurisé mondial, MSC et Maersk », indique-t-il, faisant le raccourci entre compétitivité et le dispositif.
« Le gouvernement avait lancé une mission à la suite du Fontenoy sur le sujet. Le rapport [non public] s’est conclu par un avis positif sur les bienfaits du dispositif depuis son lancement pour l’ensemble de l’armement français, notamment pour maintenir les centres de décisions armatoriaux en France », avait aussi indiqué Jean-philippe Casanova.
Flotte stratégique à concrétiser
Flotte stratégique. C'est un sujet sur lequel le père de l'actuel président, Philippe Louis-Dreyfus, n’a jamais baissé la garde. Il s'agit des navires que l’on dit essentiels car ils transportent des matières premières vitales à l’approvisionnement du pays ou parce qu’ils remplissent une fonction cardinale, à savoir des vraquiers pour les céréales ou le minerai de fer, des câbliers, des SOV pour les éoliennes ou encore des navires de recherche. La guerre en Ukraine et le retour d’une conflictualité exacerbée ont remis le dossier en haut de la pile.
Le député Renaissance du Var, Yannick Chenevard, a rendu son rapport gouvernement sur le sujet. L’engagement de la flotte stratégique est inscrit dans le Code de la Défense de 2017 mais son application est dans l'antichambre. Un autre dossier à suivre pour le nouveau délégué général, qui devra naviguer dans l'entrelacs des affaires publiques à trois échelons, national, européen et international. Le shipping s'exprime dans ces sphères-là.
Adeline Descamps
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