Amazon Fresh traverse l’Atlantique. Le géant américain propose aux consommateurs londoniens de livrer à domicile produits surgelés et frais (légumes, fruits, fromages, viandes…). Une offre rare qu’une poignée seulement de grandes villes américaines (Seattle, New York, Los Angeles, San Francisco, Philadelphie) connaissent, car l’exercice est difficile.
La direction d’Amazon le sait, elle doit se battre sur deux fronts : celui du temps et des prix. Les Anglais, bien plus que les Américains, sont très actifs sur la Toile. L’épicerie en ligne représente déjà 5,8 % du marché total de l’épicerie en Grande-Bretagne.
Les hypermarchés J Sainsbury, Tesco, Asda et le pure player Ocado n’ont pas attendu Amazon pour peaufiner leurs propres solutions de livraisons. Ce qui n’empêche pas le souk virtuel de tenter sa chance dans la capitale anglaise, plus exactement au centre-ville et dans la partie est de Londres. Soixante-neuf codes postaux sont couverts et si la commande est passée avant 13 h 00, la livraison arrivera dans la journée.
Prudence, prudence
"Nous allons prendre notre temps pour aiguiser et améliorer notre service en fonction de ce que nous apprenons et du feedback de la clientèle", déclare Ajay Kavan, vice-président d’Amazon Fresh.
Le groupe a d’abord proposé aux amis anglais d’acheter de l’épicerie en gros. C’était en 2010. Puis 5 ans plus tard, à l’automne 2015, on est passé à la phase "Pantry essentials", les essentiels du garde-manger. Le consommateur a alors pu acheter des articles emballés, tels des chips, du pop corn ou une boîte de conserve… mais toujours pas de produits frais.
Il faudra attendre l’accord de partenariat signé en février avec les supermarchés locaux WM Morrison pour qu’une offre de fruits et légumes se dessine. Quelques mois plus tard, en juin, Amazon se lance enfin dans l’aventure. Son catalogue comprend 130 000 articles.
Morrison apporte son pain, ses œufs, ses viandes, ses congelés… 50 producteurs locaux sont de la partie, tels les pizzas Pilgrims et les chocolats Paul A Young. Enfin, Amazon annonce les grandes marques internationales, Coca-Cola, Kellogg, Danone…
Température régulée dans l’entrepôt
Pour pénétrer dans le garde-manger virtuel, les Anglais paient 7,99 £ par mois et s’ils achètent au moins 40 £ de marchandises, la livraison s’avère gratuite. "C’est tout de même assez cher, souligne Andrew Pearl, le représentant en Europe du groupe d’études en ecommerce Profitero. En comparaison, chez les concurrents anglais, la livraison tourne autour de 1 à 4 l£, suivant l’heure de la journée."
En fait, en Angleterre comme aux États-Unis, les stratèges d’Amazon ont mis la barre très haut. À Seattle, le client d’Amazon Fresh doit payer un abonnement annuel de 299 $ et maintenir des commandes supérieures à 50 $ pour éviter le coût supplémentaire de livraison. Mais, explique Keith Anderson, vice-président de Profitero, ces tarifs s’expliquent par la lourdeur des investissements nécessaires à la couverture d’une cité.
"Il faut construire un entrepôt d’au moins 90 000 m2. La moitié de l’espace dispose d’une température régulée pour les produits congelés et les articles frais, dit-il. Ensuite Amazon doit mettre sur orbite une équipe d’acheteurs en liaison avec les fournisseurs. Puis vient l’étape livraison, ce qui suppose des camions plus ou moins légers et des conducteurs sachant optimiser leur journée."
Amazon se repose sur un système hybride : le groupe a sa propre flotte de véhicules et sous-traite certaines activités avec des acteurs locaux.
Un marché potentiel de 100 Md$
L’ensemble coûte très cher. Si la direction d’Amazon ne donne pas de détails, Sucharita Mulpuru Kodali, l’analyste de Forrester Research, estime des "dizaines de millions, si ce n’est 100 M$ dans chaque ville". La faute aux entrepôts réfrigérés et à la flotte de camions.
L’investissement en capital et en hommes est conséquent, sans pour autant garantir le succès. Car la concurrence est vive et les marges très étroites. Amazon affronte sur le marché américain les supermarchés locaux, les hypermarchés Walmart et Target, les nouveaux acteurs Blue Apron, Hello Fresh, Fresh Direct, Instacart, Peapod… Et tous essaient de maintenir de petits prix.
"Je crois qu’Amazon perd de l’argent, lâche Sucharita Mulpuru Kodali. La direction de la compagnie n’avoue bien sûr rien. Mais "si c’était extrêmement lucratif, ils se seraient vite déployés dans d’autres villes", conclut l’analyste de Forrester Research. Or l’expérience de Seattle lancée en 2007 a fait très peu d’émules.
L’analyste de Forrester estime que l’épicerie pèse 1 trillion de dollars aux États-Unis. La partie en ligne représente aujourd’hui 2 % de l’ensemble. Mais d’ici quelques années, lorsque 10 % des achats se feront sur la toile, les ventes atteindront 100 Md$.
Fidéliser les internautes
Pendant très longtemps, la recherche des bénéfices s’est révélée périlleuse. La start-up anglaise Ocado a dû attendre 15 ans avant d’enregistrer son premier profit. Mais le processus s’est amélioré, assure Keith Anderson. "Il n’y avait pas autrefois de haut débit, dit il. Pas de smartphone, pas d’entrepôts automatisés et la génération millenium ne faisait pas encore elle-même ses courses."
Le vice-président de Profitero en est par ailleurs persuadé, Amazon Fresh sert aussi à entretenir la loyauté de ses clients. L’acheteur régulier de fruits et légumes se laissera plus facilement tenter par une promotion sur un produit de beauté, un accessoire ou une nouvelle robe, aux marges plus juteuses.
Le panier de la ménagère se remplit… et en même temps, observe Keith Anderson, "les rentrées publicitaires d’Amazon s’arrondissent". "On en parle peu, poursuit-il, mais Amazon comme Google vend plus de bannières lorsque le trafic sur son site s’intensifie." Sous les pavés de bœuf, la plage publicitaire.