Studieuse, l’assemblée générale du SNTL (Syndicat national des transports légers), le 28 janvier à Paris, a permis d’égrener les actions initiées pour lutter contre de nouveaux concurrents urbains. Des mutants venus du monde parallèle de l’emploi non salarié, de l’économie "ubérisée", dopés par d’ingénieuses applis informatiques. La centaine d’adhérents a moins débattu qu’écouté la stratégie mise en place par Hervé Street, président du SNTL, et son bureau (1) pour faire valoir les droits des adhérents.
"Nous devons défendre notre profession qui, partout en France, est attaquée par les plateformes issues de l’économie collaborative, assène Hervé Street. On nous compare souvent aux taxis, mais c’est une erreur. Les VTC ont comblé un vide créé par le numerus clausus et la pénurie de taxis. Dans le transport léger, il n’y a jamais eu pénurie de coursiers ni de transporteurs. Le service a toujours été rendu à l’écoute des clients."
Rendez-vous au tribunal le 9 février
Le SNTL a choisi de faire appel aux tribunaux pour clarifier les troubles situations, de la concurrence déloyale au salariat déguisé. En décembre 2016, il a utilisé la requête 145, déposée auprès du tribunal de commerce de Paris, à l’encontre de trois plateformes collaboratives, en région parisienne. Ce moyen, visant à prouver des pratiques anticoncurrentielles, n’est pas le fruit du hasard.
"L’article 145 du code de procédure civile fournit aux parties un outil puissant de recherche de preuves, explique un huissier. La procédure permet à toute partie d’obtenir du juge, et sans que l’adversaire en ait connaissance, la désignation d’un huissier de justice chargé de se déplacer dans les locaux ou au domicile de l’adversaire afin d’obtenir tout document permettant d’établir les faits allégués et ainsi d’évaluer l’ampleur des agissements commis à son encontre."
Les perquisitions au siège des trois plateformes ont eu lieu le 6 janvier, avec saisie de documents. La moisson faite, tout le monde a rendez-vous au tribunal le 9 février. "Nous souhaitons voir les documents saisis, qu’ils soient déconsignés, afin que le SNTL puisse y avoir accès", indique Hervé Street.
Des pratiques qui piquent les yeux
L’action judiciaire n’est pas la solution universelle. Dans le cas de GoGo RunRun (qui fédère une communauté de coursiers professionnels et amateurs), le SNTL avait en 2016 fait appel au juge des référés, qui s’est déclaré incompétent. "Nous n’avons pas porté l’affaire au fond. Il y avait un risque juridique et de création de jurisprudence si nous avions perdu", admet Hervé Street. La même réserve s’applique à des actions qui porteraient sur la coresponsabilité du donneur d’ordre et les prix abusivement bas.
"Dans les faits, la charge de la preuve est rarement probante et la justice ne se prononce pas", admet un membre du bureau. Il n’empêche, certaines pratiques piquent les yeux, comme l’utilisation du statut d’auxiliaire de transport de marchandises, nettement moins contraignant que le statut de commissionnaire.
Un profession "fourre-tout"
"Cette profession d’auxiliaire permet le fourre-tout", regrette Hervé Street. Le SNTL peut compter sur le soutien de TLF, représenté lors de l’AG par Claude Blot. "Vous n’êtes pas seuls dans ces combats", a assuré le vice-président de TLF. Mais pour se protéger, il faut accepter d’être plus réglementé. "L’accepterez-vous ? C’est à vous de situer la jauge", interroge Claude Blot.
Le dilemme a fait ressurgir l’épineuse question du chronotachygraphe, de longue date sous-jacente dans l’univers des véhicules de - 3,5 t. La perspective est d’autant plus crédible que neuf États membres de l’UE poussent pour l’application du "paquet routier" et le renforcement des contrôles visant l’ensemble des véhicules de transport (VL et PL). Il est un moyen de lutter contre le cabotage illégal, le dumping social et la concurrence déloyale. "Le SNTL a toujours été opposé au principe du chronotachygraphe. Mais si le transport léger devait s’y conformer, il faudra alors inclure tous les comptes propres. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures", assure le président.
Contrat-type sous-traitance
Dans ce dédale juridique, le poids grandissant des auto-entrepreneurs n’est pas le moins discutable. Les deux représentants de la DRIEA (Direction régionale et interdépartement) Ile-de-France, Didier Beaurin et Moussa Belouassaa, ont rappelé la règle. Ayant à l’origine pour vocation de définir un régime fiscal, le statut du micro-entrepreneur a acquis désormais une nature juridique. Ce qui permet de s’inscrire au registre du commerce et donc au registre des transporteurs, ouvrant droit à licence.
"Mais les obligations de capacité financière et de niveau de fonds propres obligent à abandonner ce statut du micro-entrepreneur pour aller vers celui de l’entreprise", a souligné la DRIEA, en charge de vérifier la qualité et d’assurer la mise à jour du registre des transporteurs.
Concernant la sous-traitance, le dossier du contrat-type modifié avance à petits pas, en liaison avec la FNTR. Le délai de préavis, quand il y a rupture du contrat due au donneur d’ordre, pourrait être de quatre mois au-delà de trois ans de relations commerciales, augmenté d’une semaine par année supplémentaire et plafonné à six mois. La mise en application est attendue en janvier 2018, avec d’autant plus d’impatience que les juges, en cas de litige, font largement référence au contrat-type sous-traitance pour prendre leur décision.
Rappelons que nombre d’entreprises dans le transport léger sont sous-traitantes pour de grands groupes de messagerie et des expressistes.
(1) deux vice-présidents, Amaury de Turckheim (métiers du transport léger) et Bruno Neveu (métiers de la course), François Quillerier (trésorier), Jérôme Clastre (secrétaire général) et dix administrateurs.