OMI : pourquoi le « zéro émission » n’est pas acquis

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  Dans la perspective du prochain Comité de protection du milieu marin (MEPC 80), qui se tiendra du 3 au 5 juillet, l’une des deux sessions préparatoires vient de démarrer. L’agenda se resserre et les échéances se rapprochent. Á l’OMI, l’année sera cruciale pour la définition d’objectifs de décarbonation plus stricts que ceux qui ont été initialement définis en 2018.  

 

2023 sera une année-majuscule pour déterminer, dans le transport maritime, une trajectoire compatible avec l'objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, comme le préconise l'accord de Paris. Un objectif qui exigerait de la part de tous les émetteurs de gaz à effet de serre une réduction 48 % des émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2019. Ce que d’aucuns considèrent comme irréalistes.

Les négociations à venir porteront sur des objectifs climatiques renforcés et sur le prix du carbone, qui permettrait de combler l'écart de prix entre les combustibles verts (vertueux mais coûteux) et les combustibles fossiles (polluants mais bon marché et non taxés) tout en dégageant les fonds nécessaires – 2 400 Md$ selon des données convergentes –, nécessaires pour embarquer le secteur vers des technologies à zéro émission.

Négociations à Bruxelles et à Londres

Ces questions et bien d’autres animeront particulièrement les hémicycles des instances réglementaires. Que ce soit à l’OMI, camp de base à Londres, où un « zéro émission » d'ici à 2050 sera (âprement) débattu lors de la 80e session du comité de protection du milieu marin (MEPC 80) du 3 au 5 juillet alors que l’organisation de réglementation ne vise actuellement qu'une réduction de moitié des émissions carbone à cet horizon. Ou à Bruxelles, siège de la commission européenne, où des ambitions bien plus élevées qu’à l’OMI ont déjà été actées. La législation sur la décarbonation du transport maritime y avance vite.

Le paquet législatif Fit for 55, comprenant notamment son intégration dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE), le règlement Afir sur les infrastructures des carburants alternatifs aux combustibles, la révision de la directive sur l’énergie (ETD), sont à la fin de leur parcours parlementaire, à l’étape des négociations tripartites entre la Commission, le parlement et le conseil européens.

L’extension du système d'échange de quotas d'émission communautaires aux routes maritimes de l'Union à partir de 2024 a court-circuité l'OMI. La mesure revient à confier la question aux régulateurs régionaux et nationaux, ce qui est loin du dogme prôné à l’OMI, le transport maritime étant par essence international.

Dans la perspective du prochain MEPC, deux réunions techniques se tiendront. La première a démarré le 20 mars et se tient jusqu’au 24 mars. C’est là, dans cette antichambre du MEPC que se débattent vraiment les soumissions qui seront validées en plénière (instance plus politique) et où se décide réellement le paysage réglementaire à venir.

Les discussions s’amorcent alors que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a publié, ce lundi 20 mars, la synthèse de son sixième rapport qui dresse l'état des connaissances sur le changement climatique, ses conséquences et les solutions à y apporter. Un document présenté pour la première fois en 2015 et dont la publication souvent anxiogène (un monde plus chaud où les phénomènes météorologiques extrêmes seront plus nombreux et plus violents) est devenue cruciale pour l'avenir de la planète et du destin des hommes sur Terre. En témoignent les 3 000 journalistes du monde entier inscrits à la conférence de presse organisée à l’occasion de sa sortie.

Que dit le Giec ?

Fait plus nouveau, il ne s’attarde plus à démontrer l'existence du réchauffement climatique et la responsabilité des activités humaines dans ce désastre programmé. Il considère que c’est acté et passe à l’étape d’après : le documenter plus finement pour mieux s’adapter. Les effets glacent.

Alors que les émissions devraient baisser maintenant pour pouvoir maintenir le réchauffement à + 1,5°C, elles continuent d'augmenter, indiquent les scientifiques. De nombreux pays ont déclaré leur intention d'atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle mais « peu de politiques sont en place actuellement pour tenir cette promesse », dénoncent-ils. Si cette trajectoire était maintenue, la barre des + 1,5°C serait franchie au cours du siècle et un réchauffement de 3,2°C est prévisible à horizon 2100, indique le rapport.

Ces dernières années, les phénomènes météorologiques extrêmes – vagues de chaleur intenses, pluies torrentielles, rupture de digues, incendies à grande échelle –, se sont multipliés. L'élévation du niveau de la mer est désormais « inévitable pendant des siècles, voire des millénaires, en raison de la poursuite du réchauffement des océans profonds et de la fonte des calottes glaciaires », alerte encore le rapport. Avec un réchauffement global à + 2°C, « les calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique occidental disparaîtront presque complètement et de manière irréversible sur plusieurs millénaires ».

Le Giec insiste aussi et surtout sur le fait que la décennie sera essentielle pour contenir la menace « contre les écosystèmes, la biodiversité, les moyens de subsistance, la santé et le bien-être des actuelles et futures générations ». Quant aux niveaux actuels d'investissements, ils devraient être « trois à six fois plus élevés » pour limiter le réchauffement à 2°C ou 1,5°C.

L’OMI n’est pas dans les clous

L’OMI est hors cadre alors que la stratégie adoptée en 2018, non sans mal, projette de réduire de 50 % les émissions carbone d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008. Non contraignante qui plus est.

Alors que les réunions du groupe de travail intersessions ont démarré, les États-Unis et le Canada sont à l’origine d’une nouvelle proposition, demandant que des objectifs intermédiaires précis soit définis, estimant qu’en 2040, les émissions de dioxyde de carbone doivent être réduites de 96 % pour remplir les engagements à l’égard des politiques climatiques mondiales.

« La littérature scientifique récente montre toutefois qu'il est possible d'atteindre les niveaux d'ambition alignés sur Paris pour le secteur, y compris l'objectif de zéro émission de GES d'ici 2050 ou avant, si des mesures urgentes sont prises dans les années 2020. Le temps presse », indiquent-il dans leur soumission.

Les États membres de l'UE ne font pas partie des cosignataires alors qu’ils sont identifiés comme les partisans du resserrement des contraintes. Leur silence, qui pourrait être politiquement tactique, interroge. Á moins qu’il ne soit la traduction d’un doute quant à l’atteinte de niveaux dans un délai de sept ans.

Lors du précédent MEPC 79 en décembre 2022, la fixation de nouvelles exigences est restée à quai, sujet hautement clivant pour les 175 membres divisés en deux lignes de fracture nettes, dont ont témoigné les débats nourris autour de la terminologie d‘« objectif renforcé ».

Dans le groupe de travail intersessions qui l’avait précédé, une dynamique s’était pourtant créée pour réclamer un niveau d'ambition plus élevé mais sans que les délégués ne se mettent d'accord sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040, ou sur un niveau d'émissions nulles ou nettes nulles d'ici 2050 (les nuances entre les deux feront l’objet d’un autre débat). La seule avancée obtenue in fine réside dans le texte de compromis qui mentionne un « niveau d'ambition renforcé ». C’est ce document qui va servir de base aux échanges en cours.

Plus de pays se rallient au « zéro émission » d’ici à 2050

Les rapports de force évoluent néanmoins. Un nombre plus important de pays se sont ralliés à l’idée d’un « zéro émission d'ici à 2050 » à l’instar de la Corée et le Japon (voix puissantes à l'OMI), deux des trois grands constructeurs de navires. Cette ligne dure est déjà partagée par 27 États membres de l'UE, les États-Unis, les pays du Pacifique, les Îles Marshall et Salomon (les plus radicaux dans ce sens) et de plus en plus de pays africains.

Sur les 175 États membres, dix sont complètement hermétiques à l’idée de revoir à la hausse les niveaux d’ambition actuels : il s’agit de ceux que l’on regroupe sous le sigle des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ainsi que de l'Arabie saoudite, de l'Argentine, de l'Indonésie, de la Turquie et des Émirats arabes unis, qui accueillent pourtant les négociations climatiques de la COP28. Cette position est soutenue par la crainte que la décarbonation ait un impact disproportionné sur les exportateurs de matières premières, géographiquement éloignés de leurs marchés.

La Chine, le Brésil et les Émirats arabes unis défendent notamment « l'élimination progressive des émissions de CO2 vers la fin du siècle ».

La soumission comporte deux options : soit de maintenir la vision et les niveaux d'ambition tels qu'ils ont été inscrits dans la stratégie initiale de 2018 en attendant la stratégie révisée, entre 2050 et d’ici la fin de ce siècle, soit de fixer une série d'objectifs « en vue de l’élimination progressive des émissions de gaz à effet de serre de préférence ».

Le débat est en train de virer à un bras de fer de crédibilité : à qui sera le plus réaliste…

L’idée de donner un prix du carbone gagne du terrain

Pour financer les efforts de transition énergétique – une interrogation fondamentale au regard du coût de la décarbonation du secteur –, deux pistes émergent. Ces derniers mois, l’idée de fixer un prix du carbone générateur de recettes pour financer la décarbonation du secteur a gagné des émules. Depuis début 2021, plusieurs États insulaires du Pacifique défendent un prix du carbone de 100 $ pour chaque tonne d'équivalent carbone émise par l'industrie.

En novembre 2021, plus de 50 pays vulnérables au climat ont soutenu une taxe obligatoire sur les gaz à effet de serre pour le transport maritime international dans le cadre de la déclaration de Dhaka-Glasgow lors de la COP26. En avril 2022, le Japon a soumis sa propre proposition à l'OMI en faveur d'une taxe mondiale similaire, suivi par la Corée en décembre. La Chine a pour sa part suggérer la nécessité de collecter des revenus pour financer les investissements dans les nouvelles technologies et carburants.

Une norme sur les carburants doit mettre d’accord sur le pourcentage

Le deuxième levier réglementaire qui tient la corde prend la forme d’une norme sur les carburants, qui obligerait les navires à recourir aux carburants à faible teneur en carbone ou à teneur nulle en carbone au fil du temps. À cet égard, l'Inde, l'Arabie saoudite et les États-Unis demandent qu'au moins 5 % des carburants utilisés en 2030 soient des carburants alternatifs.

Une idée fait autorité et n’est pas un sujet : tous les armateurs, exploitants ou propriétaires de navires, fournisseurs de carburants, opérateurs d’infrastructures… attendent des signaux clairs réglementaires de façon à enclencher les décisions d'investissement à grande échelle.

Á qui doivent profiter les fonds perçus ?

« Les communautés vulnérables, qui ont historiquement le moins contribué au changement climatique actuel, sont touchées de manière disproportionnée, dénoncent les experts du Giec. La plupart des impacts négatifs ont touché des endroits et/ou communautés d'Afrique, d'Asie, d'Amérique centrale ou du Sud, des pays les moins développés, des petites îles et de l'Arctique, et globalement des peuples indigènes, des petits producteurs alimentaires et des ménages à faibles revenus. »

Le fléchage des fonds collectés réveille en effet les clivages entre un Nord qui émet et un Sud qui subit. Ces débats ont déjà démarré dans les couloirs de l’OMI. Schématiquement, les pays du Nord tiennent à ce que les revenus perçus soient réinvestis au profit du secteur quand ceux du sud voudraient qu’ils aident les pays vulnérables au climat à s'adapter au changement climatique.

Les pays en développement voient dans l’émergence d’une nouvelle génération de combustibles une opportunité de développement à l’instar de la Namibie dont les projets en cours visent à transformer le pays en un producteur et exportateur majeur d'hydrogène vert, y compris pour une application maritime. Le pays de l’Afrique australe se dit favorable à l'instauration d'une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Il a été suivi par le Kenya, le Ghana et la Sierra Leone.

Adeline Descamps

 

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