Maersk, qui a commandé sa première série de porte-conteneurs neufs au méthanol dès 2021, ne sera pas seulement le pionnier de la construction neuve. Il va en outre défricher le marché du rétrofit.
L'ingénierie détaillée de la première opération sur un moteur est en cours et la mise en œuvre effective est prévue en 2024. Le groupe danois envisage d'ores et déjà de reproduire le schéma sur d’autres navires et en fixe l’horizon à 2027.
Les navires en question ne sont pas mentionnés mais selon des sources professionnelles, une dizaine seraient concernés et dans la catégorie des 15 000 EVP.
« Nous avons fixé un objectif d'émissions nettes nulles pour 2040 dans l'ensemble de l'entreprise qui se traduit par une réduction de 50 % des émissions par conteneur transporté dans notre flotte par rapport à 2020 et par un engagement à transporter 25 % de nos volumes d'ici 2030 à l'aide de carburants verts. L'adaptation des moteurs au méthanol est un autre levier important de notre stratégie », explique Leonardo Sonzio, responsable de la gestion de la flotte et de la technologie chez Maersk, qui entend démontrer que la conversion est une alternative viable.
« En 2021, nous avons commandé le premier porte-conteneurs au monde fonctionnant au méthanol, conformément à notre engagement de ne commander que des navires neufs aux carburants verts. Parallèlement, nous avons exploré le potentiel de modernisation des navires existants avec des moteurs à double carburant au méthanol. Après avoir travaillé avec MAN Energy Solutions, nous sommes maintenant en mesure de démontrer que la reconfiguration est faisable », ajoute le cadre dirigeant.
Un coût deux fois plus élevé
Pour Maersk, dans le méthanol, tout est bon. En lançant les premières commandes de porte-conteneurs neufs (19 à ce jour, sans les options), l’ex-leader du transport maritime de conteneurs par la capacité souhaitait envoyer un signal fort au marché en amorçant la pompe de façon à créer un effet volume et à diminuer le coût de l’énergie, aujourd’hui deux fois plus élevé que celui du méthanol conventionnel (dit gris).
Les coûts de production du méthanol renouvelable dépendent d'abord et avant tout de la matière première et du processus de production. Selon l’Institut du méthanol, d'ici 2050, ils devraient être comparables à ceux de certains combustibles fossiles, soit de 12 à 43 $/GJ pour l'e-méthanol et de 11 à 32 $/GJ pour le bio-méthanol.
Une reconfiguration complexe
En ouvrant le marché du rétrofit, le transporteur actionne un autre levier pour booster la demande. Encore faut-il que la reconfiguration soit probante.
Hapag-Lloyd a songé un temps à convertir une partie de sa flotte au GNL. Mais l’expérience de l’ex-Sajir a été particulièrement dissuasive. Il aura fallu sept mois de travaux et un coût de 35 M$ pour convertir le porte-conteneurs de 15 000 EVP hérité de la flotte d'UASC.
L’armateur en avait fait un navire pilote en vue de tester la faisabilité technique et estimer la viabilité financière d’une conversion de seize autres unités. Depuis, à ce prix et à ces conditions, il n’y en aura sans doute pas deux. Et. les candidats à une opération similaire ont été rares, à l'instar de l'armateur américain Matson, apparemment pas échaudé par l'expérience financière du transporteur allemand.
MAN sélectionné
« Remplacer les pièces du moteur et le rendre ainsi capable de fonctionner au méthanol est une tâche assez complexe, mais ce n'est qu'une partie de l'opération plus vaste de modernisation, reprend le responsable de flotte, sans mentionner le coût de l'opération. De nouveaux réservoirs de carburant, une salle de préparation du carburant et un système d'alimentation en carburant doivent être pensés pour le méthanol vert ».
MAN Energy Solutions, particulièrement avancé pour la motorisation au méthanol sur des navires neufs, a été sélectionné pour conduire les travaux.
82 moteurs à double carburant au méthanol
Le motoriste allemand, qui participe avec Hyundai Heavy Industries et Alfa Laval au chantier méthanol de la flotte neuve de Maersk, commercialise déjà des moteurs à deux temps bicarburants, prêts pour le méthanol.
L’équipementier a actuellement 82 moteurs à double carburant au méthanol dans son carnet de commandes. Pour ces moteurs à double carburant, il n’est pas nécessaire de toucher à la structure du moteur, les aménagements concernant surtout l'injection et le système d'alimentation en carburant. MAN Energy Solutions devrait également commencer à proposer des adaptations au méthanol pour les moteurs à quatre temps à partir de 2024, une fois les défis techniques liés à ces deux points surmontés.
Cela lui ouvrira le marché des porte-conteneurs, ferries, chalutiers et paquebots, tandis que les moteurs à deux temps à double carburant sont plus adaptés pour les navires-citernes transportant du méthanol et aussi les porte-conteneurs. C'est du moins ce qui ressort d'une analyse de terrain.
Pas pour tous les navires
TNO, qui est à l'origine de cette étude, s'est basé sur les schémas de navigation et les distances parcourues par les navires dans les ports de Rotterdam et d'Amsterdam. Il ressort que les navires opérant sur des lignes ni très longues ni très courtes et qui ont tendance à naviguer selon des horaires fixes semblent être le meilleur choix pour le méthanol.
Ses auteurs ont été particulièrement attentifs à la densité énergétique du méthanol, inférieure à celle des combustibles traditionnels, et à ses implications pour le transport maritime (les réservoirs occupent environ 2,4 fois plus d'espace que sur un navire fonctionnant au MGO par exemple). Néanmoins, l'énergie de demain offre un meilleur compromis (transport, stockage avitaillement, prix) que des combustibles tels que l'ammoniac, l'hydrogène ou le GNL, nécessitant un stockage cryogénique.
« Les raisons pour lesquelles nous croyons au méthanol vert sont de trois ordres : la rapidité, la disponibilité et le coût », défend Berit Hinnemann, responsable (par intérim) de l'approvisionnement en carburants verts chez Maersk.
Moment charnière difficile à gérer
Le transport maritime est actuellement à un moment charnière, celui où les exploitants de navires doivent arbitrer dans les motorisations de leur flotte en partie à renouveler. Les réglementations sont appelées à devenir plus strictes à mesure que l'industrie devra tendre vers le zéro net émission, peut-être imposé plus tôt qu’il n’est prévu aujourd’hui (il n'est question à ce jour que de réduire les émissions du secteur de 50 % d'ici à 2050 par rapport à la situation de référence de 2008)
Le méthanol marin émerge comme une des options les plus populaires pour tendre vers cet objectif à condition qu’il soit vert, ce qu’il n’est pas aujourd’hui puisque la majeure partie du méthanol est actuellement produite à partir de gaz naturel (méthanol gris).
Les intrants, les ingrédients stratégiques
Selon l’Institut du méthanol, les installations les plus efficientes produisent aujourd'hui du méthanol avec une empreinte carbone de l’ordre de 110 gCO2eq/MJ. En revanche, quand la source est renouvelable, telles que le biométhane, la biomasse ou une énergie renouvelable (hydrogène + CO2 biogénique), l’empreinte carbone est faible, la plupart de ces filières atteignent 10-40 g CO2 eq/MJ, et certaines ont même des émissions négatives.
En prenant en compte les émissions en « well-to-propeller » (littéralement, du puits au propulseur), le bio-méthanol et l'e-méthanol (renouvelables donc) figurent parmi les carburants maritimes les moins polluants.
La disponibilité des matières premières, en quantités suffisantes et à un prix raisonnable sur le lieu de production, constitue cependant le principal frein à la production de méthanol vert à grande échelle.
Problématique de l'avitaillement
Maersk a trouvé une parade à ce problème en créant sa propre chaîne d'approvisionnement du carburant vert.
L'entreprise a signé plus de dix contrats d'achat à long terme à ce jour (CIMC ENRIC, European Energy, Green Technology Bank, Ørsted, Proman, WasteFuel, Bego, etc....) qui devraient lui assurer au moins 730 000 t de méthanol vert par an d'ici à la fin de 2025 (et avec 500 000 t supplémentaires après cette échéance).
Les huit premiers navires de la flotte, qui seront livrés d'ici au premier trimestre 2024, devraient générer des économies annuelles d'émissions de CO2 d'environ 1 Mt, selon l’armateur qui estime son surcoût à la construction jusqu'à 15 % du prix total.
500 Mt de méthanol vert en 2050
Le méthanol conventionnel est actuellement disponible dans plus de 120 ports et il existe plus de 90 installations de production de méthanol dans le monde, avec un approvisionnement annuel de près de 100 Mt de méthanol, indique pour sa part l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena). D'ici 2050, l'e-méthanol et le bio-méthanol devraient représenter environ 80 % de la production totale et pourraient atteindre 500 Mt par an.
Selon la base de données DNV Alternative Fuels Insight, il y a actuellement 103 navires en service et en commande au méthanol. Le méthanol a été choisi comme option de propulsion tant par des feeders de 950 EVP (A2B Online) que pour des navires de ligne de 24 000 EVP (pour OOCL).
Maersk et CMA CGM sont au coude à coude avec chacun 24 navires totalisant une capacité similaire de l'ordre de 350 000 EVP. Avec 13 navires pour 300 000 EVP, Cosco/OOCL joue dans la même catégorie. Le leader mondial, MSC, s'intéresse davantage à l'ammoniac.
Les carburants alternatifs représenteront 2 % de la demande mondiale de combustibles de soute, soit 328 Mt par an, en 2030, établit Platts Analytics dans son scénario de référence. Le méthanol devrait représenter 34,3 % de la demande contre 18,6 % pour l'hydrogène et 14,7 % pour l'ammoniac.
Adeline Descamps