Dans moins de trois semaines se tiendra la 80e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC) au siège de l'OMI à Londres. Ce rendez-vous, pièce maîtresse des sessions de l’OMI sur les sujets en lien avec l’environnement, pollution comprise, sera déterminant pour donner le tempo et jalonner l’agenda réglementaire de la décarbonation du shipping dans les décennies à venir.
Actuellement, la stratégie de l'OMI, telle qu'elle a été arrêtée en 2018 après une décennie de palabres, consiste à réduire les émissions du secteur de 50 % d'ici à 2050 par rapport à la situation de référence de 2008. La révision envisagée, qui devrait être arbitrée lors du MEPC80, entend rehausser la barre pour atteindre le zéro net d’émissions dans moins de trois décennies.
Décider de ne rien décider
Le consensus étant roi dans cette instance où cohabitent quelque 175 États membres aux intérêts qui font le grand écart, la moindre anicroche – doute, scepticisme, franche aversion à l’égard d’une soumission –, peut suspendre la décision et renvoyer son examen à un groupe de travail.
Dans une semaine (du 26 au 30 juin 2023) vont s'ouvrir les négociations (dont l’accès est fermé aux médias) du groupe de travail au sein des intersessions sur les gaz à effet de serre (ISWG-GHG-15). Là se négocient et débattent les points qui seront décidés au sein du MEPC.
Deux blocs, deux lignes de fracture
Les dernières du genre, en amont du MEPC 79, avaient déçu. Le rapprochement annoncé, à l'issue de ces sessions de travail, entre les partisans d’une ligne qui ne transigent pas avec les objectifs de l’accord de Paris (le transport maritime en est très loin) et les disciples du statu quo renvoyant la neutralité carbone à la fin du siècle, s'était largement effrité à l'épreuve du grand oral MEPC.
La ligne dure est partagée par 27 États membres de l'UE, les États-Unis, les pays du Pacifique, les Îles Marshall et Salomon (les plus radicaux dans ce sens) et de plus en plus de pays africains.
Un bloc monolithique, composé des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), reste hermétique à l’idée de revoir à la hausse les objectifs actuels, jugeant les ambitions irréalistes alors que le secteur vient à peine de prendre conscience qu'il ne pourrait pas faire l'économie d'une quatrième révolution industrielle, celle de la propulsion.
L'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Indonésie, la Turquie et les Émirats arabes unis (qui accueillent les négociations climatiques de la COP28 en fin d'année), se sont rangés derrière cette position, soutenue par la crainte que la décarbonation ait un impact disproportionné sur les exportateurs de matières premières, géographiquement éloignés de leurs marchés.
Consensus sur un niveau d'ambition renforcé
Un texte de compromis avait fini par convenir d'un « niveau d'ambition renforcé » sans que les délégués ne se mettent d'accord sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040, et encore moins sur un niveau d'émissions nulles ou nettes nulles d'ici 2050 (les nuances entre les deux feront l’objet d’un autre débat).
Un autre point ne fait pas non plus consensus. Tous s’accordent à dire qu’il faut un environnement politique incitant à l'adoption de technologies et de combustibles de soute sans carbone pour les rendre compétitifs par rapport aux carburants d'origine fossile. Mais les contours de ce cadre – que ce soit sous la forme de normes techniques ou de mesures fondées sur le marché, telles que des instruments de tarification du carbone –, sont toujours en suspens.
À l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial que la France organise les 22 et 23 juin avec l’Inde, le président Emmanuel Macron entend remettre sur la table l'idée d'une taxe mondiale climatique pour le transport maritime.
Destination des fonds perçus
La destination des recettes dégagées par une taxe carbone par exemple est aussi un sujet de tensions, notamment avec les États membres représentant à l’OMI les pays émergents et en voie de développement, qui subissent les effets climatiques que les pays développés ont engendrés. Ces sujets seront abordés à n’en pas douter.
L'issue du MEPC80 sera, sur un autre plan, déterminante à la fois pour la crédibilité de l'OMI en tant que régulateur mondial alors qu’il est court-circuité par des institutions régionales, type l’UE avec son Green Deal, qui piétine ses prérogatives en superposant des réglementations.
Mais il en va aussi du signal envoyé au marché, les exploitants de navires attendant ces modalités pour enclencher les investissements qu’ils devront engager sur la durée de vie d’un navire.
Trois sujets en lien avec l'actualité
L'adoption de la stratégie révisée de l'OMI en matière de gaz à effet de serre ne sera pas le seul point aborder lors du MEPC80, loin de là (cf. plus bas).
Trois sujets sont en prise directe avec l'actualité. Le transfert de navire à navire (STS) sera abordé sur une proposition de résolution de l'Assemblée alors que le phénomène s’est considérablement accéléré depuis la guerre en Ukraine. Des données estiment à 600 le nombre de VLCC (qui pour la plupart auraient dû partir à la casse) opérant dans des conditions d’assurance opaques, des transferts de pétrole en mer, risqués pour l’environnement, notamment parce qu’ils sont susceptibles de provoquer des déversements en mer.
Les risques représentés par les granulés de plastique pour l'environnement marin, mis en évidence par des incidents, notamment le X-Press Pearl en 2021, au cours duquel 11 000 t ont été déversées au large des côtes du Sri Lanka, sera aussi un sujet du MEPC80.
Le projet de texte, qui traite de l'emballage et des informations relatives au transport, sera soumis au sous-comité du transport des cargaisons et des conteneurs (CCC 9, qui se réunira du 20 au 29 septembre) pour contribution, puis au MEPC 81 pour approbation. Il est d’ores et déjà convenu que les granulés de plastique ne pourront plus être transportés en vrac.
Quant à la perte de conteneurs en mer, le CCC du 14 au 23 septembre 2022 avait validé des propositions d’amendements aux conventions Solas et Marpol qui prévoient de rendre obligatoire la déclaration de pertes de conteneurs. Elles devraient être adoptées par le Comité de la sécurité maritime (MSC108) à l’automne 2023, pour une entrée en vigueur avant le 1er janvier 2026.
Plus l'agenda s'étire, plus la transition sera coûteuse
Plus l’agenda s’étire, soupirent les dirigeants des compagnies maritimes, plus la transition sera coûteuse et chaotique. « Il est essentiel que MEPC80 fixe un niveau d'ambition élevé. Une fois que nous nous serons mis d'accord sur ce point, le format des mesures techniques et des politiques telles que les normes en matière de carburant et les mesures économiques suivront rapidement », prêche Kitack Lim, le secrétaire général de l’OMI, qui estime qu’il faudra ensuite deux à trois ans pour élaborer les mesures et politiques spécifiques.
Constant dans son optimisme à toute épreuve, le secrétaire général de l’OMI, en fin de mandat (décembre), qui n’a eu de cesse d’exhorter en ouverture des MEPC les délégués à « faire preuve d'audace » dans leurs négociations, avec un succès souvent mitigé, n'a cette fois encore aucun doute. Il l'affirme haut et fort : il a toute confiance sur le fait qu'ils vont prendre les « bonnes décisions » car « ils savent ce que nous devons faire ».
Adeline Descamps
MEPC 80 : eaux de ballast, bruit sous-marins, déchets, biofouling, CII ... aussi
L'ordre du jour du prochain MEPC 80 s'annonce chargé. Les sujets d'intérêt capital cités plus haut dont de l'ombre aux autres sujets, notamment la gestion des eaux de ballast (adoption d'amendements à la convention BWM) ; la désignation d'une zone maritime particulièrement sensible ; la révision des lignes directrices sur le bruit sous-marin et contre les déchets marins...
Il sera aussi question de la date d'entrée en vigueur des zones spéciales de la mer Rouge et du golfe d'Aden en vertu des annexes I et V de Marpol. Le MEPC devrait par ailleurs aborder un certain nombre de propositions relatives au captage du CO2 à bord des navires. Les soumissions portent notamment sur la revoyure du cadre réglementaire actuel de façon intégrer la technologie.
La révision des directives ( adoptées pour la première fois en 2011) sur le biofouling (encrassement biologique des navires) est également au programme. Outre la protection de la biodiversité marine en empêchant le transfert d'espèces aquatiques envahissantes, il a été démontré que garder la coque d'un navire propre peut également réduire les émissions de gaz à effet de serre du navire en améliorant l'efficacité du carburant.
CII au rapport
Le prochain comité devrait en outre examiner un certain nombre de soumissions relatives à la révision des réglementations et des lignes directrices du CII, qui doit être achevée au plus tard le 1er janvier 2026 (une session MEPC 78 avait invité les États membres à collecter des données pertinentes au cours des premières années de mise en œuvre du système d'évaluation).
À l’issue du MEPC76, qui s’est tenu mi-juin 2021, le sentiment qui dominait était l’amertume. Ce qui était à l’ordre du jour avait été voté mais la déception l’avait emporté. Les soumissions satellites, que la plupart des armateurs considéraient comme clefs, avaient été remises à plus tard. Il s’agissait (déjà) de l’instauration d’une taxe ou d’un prélèvement sur les carburants d’origine fossile pour encourager l’usage de carburants alternatifs à l’ADN carbone plus vertueux et la création d’un organisme de R&D pour accélérer les développements technologiques de rupture sur des carburants décarbonés.
L’Organisation avait en revanche adopté les premières mesures concrètes portant sur la réduction de l’intensité carbone des navires d’ici 2030 dont les intéressés sont aujourd’hui familiers : l’indice d'efficacité énergétique (EEXI, mesure technique, qui n’était alors exigé pour les seuls navires existants) et le très controversé indicateur d'intensité de carbone dit Carbon Intensity indicator (CII, mesure opérationnelle), Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023.
A.D.
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