Lithium, cuivre, cobalt, nickel et graphite sont les nouvelles égéries de la scène internationale des matières premières. Les injonctions à une économie bas carbone les a érigés au statut de métal clé pour leurs propriétés les rendant essentiels à toutes ces applications fort utiles à la décarbonation, tels les batteries, les électrolyseurs, les panneaux photovoltaïques, les éoliennes.
Avec les applications liées à la transition énergétiques, les modes de consommation à base d’écrans plats, la soif d’intelligence artificielle et la digitalisation de l’économie à marche forcée sont devenues les principaux moteurs de la course aux métaux.
En 2023, les seules ventes de voitures électriques (14 millions d'unités), voraces en lithium, ont augmenté de 35 % selon les dernières données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Le boom du déploiement (+ 75 %) des panneaux solaires et de l'énergie éolienne a sursollicité le nickel, le cobalt et le graphite.
Gourmandes en nickel, platine et autre zirconium, les installations d’électrolyseurs, qui servent à verdir l’hydrogène dont on a fait l’alpha et l’oméga de la décarbonation des mobilités lourdes, ont bondi de 360 % l’an dernier. Effet domino, cette évolution s'accompagne d'une explosion des réseaux électriques, ce qui stimule la demande de cuivre et d'aluminium.
En conséquence, la demande de lithium a augmenté de 30 % l’an dernier tandis que celle de nickel, de cobalt, de graphite a enregistré des croissances de 8 % à 15 %, selon les métaux.
Une OPA symptomatique
L’offre de rachat du géant BHP sur son rival Anglo American en vue de former un titan du cuivre est révélatrice des tensions qui pèsent sur l’offre minière et des perspectives juteuses pour certains de ces minerais stratégiques mais critiques du fait de leurs ressources limitées alors que leur demande explose. Critiques aussi compte tenu de leurs risques sociaux et environnementaux dans les pays d'extraction.
L'offre de l’Australien, relevée à 38,6 Md$ mais rejetée une énième fois ce mercredi 22 mai par le groupe minier britannique, peut être interprétée comme une volonté de mettre la main sur les ressources minières de l’autre, solution bien plus rapide que de s'embarquer dans de nouvelles mines.
Les raisons du refus de l’entreprise convoitée sont tout aussi éclairantes.
Les dirigeants d’Anglo American font valoir les « risques » pour les actionnaires d'une offre qui prévoit de se séparer de deux filiales sud-africaines, soit l'activité de platine et celle de minerai de fer. Or, le groupe veut profiter de la transition énergétique pour valoriser ses mines de minerai de fer, se disant « idéalement placé pour soutenir la décarbonation de la métallurgie ».
L'apparent paradoxe du platine
En revanche, étonnamment, les deux groupes convergent sur un point, à savoir se délester du platine, pourtant capital à la production de convertisseurs catalytiques contribuant à réduire les émissions nocives des moteurs à combustion. Un apparent paradoxe qui trouve son explication dans les perspectives pour les voitures thermiques dont les jours seraient comptés.
Ce sombre présage a fait plonger ces derniers mois les cours de ce métal, plus précieux que l’or et parmi les plus chers au monde. Le métal phare de l’Afrique du Sud et de la Russie a perdu environ un tiers de sa valeur entre 2021 et avril, avant un rebond soudain ces derniers jours (1 095,69 $ l'once, un niveau jamais vu depuis mai 2023) en raison de « la perspective d'un déficit d'offre croissant », indiquent les analystes. Déjà sous-approvisionné, le marché du platine devrait en effet manquer de 476 000 onces cette année, selon des estimations du World Platinum Investment Council publiées la semaine dernière.
À l'inverse du métal gris argenté, le métal rouge qu’est le cuivre est de plus en plus prisé pour ses propriétés de conduction et sa malléabilité. Son prix culmine actuellement à 11 104 $ la tonne sur le London Metal Exchange (LME), son plus haut historique, alors qu’il a gagné environ 25 % depuis début février.
Retour du grand jeu dans les matières premières
L’agitation autour des métaux et minerais stratégiques est un indicateur avancé d’une autre bataille induite par les crises géopolitiques en cours et les guerres commerciales entre blocs. « C’est le retour véritable du grand jeu, tel qu'il avait existé à la fin du 19e siècle entre les grandes puissances impériales », a indiqué Philippe Chalmin, qui a présenté au cours d’une conférence de presse le 38e rapport annuel des matières premières CyclOpe.
Pour le professeur de Paris-Dauphine, le « Monsieur matières premières » prisé des médias, « le passage du stable à l'instable s'est accéléré. Dans les années 70, il concernait le pétrole ou le minerai de fer, aujourd'hui les prix sont instables pour le gaz, l'électricité et même le fret de conteneurs [sic]. Les tensions de plus en plus exacerbées sur les marchés se traduisent par l’'éclatement de bulles [lithium, NDLR] ou la formation de bulles [cacao, robusta] ».
Le monde de demain est celui des métaux, abonde Yves Jegourel, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) qui coordonne avec Philippe Chalmin les 70 auteurs du guide. Le spécialiste évoque en outre « une « recomposition des flux, liée aux sanctions contre la Russie », en référence à l’interdiction d'importer du nickel, du cuivre et de l'aluminium russe par les États-Unis et le Royaume-Uni] ainsi qu'un « changement du rapport de forces au détriment des fondeurs et au profit des mineurs ». Et pour le plus grand bien de la Chine…
La Chine à l'abordage
La sécurisation de l'approvisionnement en minerais de pointe est devenue une question cruciale pour de nombreux pays, la Chine s'étant engagée dans une conquête des marchés.
L'acquisition de mines à l'étranger de la seconde puissance économique mondiale a atteint le niveau record de 10 Md$ au cours du premier semestre 2023 avec en proies, le lithium, le nickel et le cobalt, peut-on lire dans le deuxième rapport annuel sur les métaux publié le 17 mai par l'AIE.
D’ici 2030, la Chine fournira plus de 90 % du graphite de qualité batterie et 77 % des terres rares raffinées en 2030. Ce qui remet l’insoutenable suprématie de la Chine à l'épicentre des grandes problématiques mondiales d’autant que l’offre est appelée à se concentrer toujours plus au sein du club de quelques grands pays producteurs.
Dans le schéma 2030 décrit par l’organisme de l’OCDE, l'Amérique latine captera la plus grande part de la valeur du marché pour la production minière, avec environ 120 Md$, l'Indonésie la doublera grâce à sa production de nickel en plein essor et l'Afrique enregistrera une augmentation de 65 % d'ici à 2030.
« La forte concentration du marché signifie qu'il existe un risque de pénurie importante si, pour une raison quelconque, l'approvisionnement en provenance du plus grand pays producteur est interrompu », ajoutent les auteurs.
Risques liés à l'offre
Dans ce rapport, l’organisation intergouvernementale, dont les membres sont les pays importateurs (historiquement de pétrole, jouant en cela le rôle de contrepoids international à l’Opep), fait part de ses craintes sur l'approvisionnement mondial et estime à 800 Md$ les investissements miniers nécessaires dans le monde d'ici 2040 pour satisfaire la demande générée par la transition environnementale. Du moins pour respecter l’accord de Paris de contenir le réchauffement climatique à 1,5° de façon à atteindre le fameux zéro émission nette d'ici 2050.
« La demande pour les minerais critiques va quadrupler d'ici 2040 », alerte le directeur général de l'AIE, Fatih Birol.
Entre les perspectives de production et celles de consommation, certains minerais paraissent plus vulnérables que d’autres : l'offre minière prévue dans le cadre des projets annoncés ne couvre que 70 % des besoins en cuivre et 50 % de ceux en lithium.
Le graphite, le cobalt, les terres rares et le nickel sont eux confrontés aux risques géopolitiques et la plupart des minéraux à des perturbations environnementales.
Fonte des cours
Mais l’AIE est surtout alertée par la chute des cours de plusieurs minerais stratégiques en 2023 à l’instar du lithium, dont les prix au comptant ont dégringolé de 75 %, et le cobalt, nickel et graphite, qui ont subi des pertes entre 30 et 45 %.
« La baisse actuelle des prix est une arme à double tranchant. C’est une aubaine pour le déploiement de l'énergie propre et une bonne nouvelle pour l'accessibilité financière des technologies propres, y compris la réduction de 14 % des prix des batteries en 2023. Mais c’est un fléau pour l'investissement dans les minéraux critiques et la diversification des approvisionnements », rappelle-t-elle.
L'indice des prix des minéraux pour la transition énergétique de l'AIE, qui suit le prix d'un panier de cuivre, des principaux métaux pour batteries et des terres rares, a triplé entre janvier 2020 et janvier 2022, mais a perdu la majeure partie de cette augmentation à la fin de 2023 en raison d’une tendance au surstockage.
Si la faiblesse des prix a ralenti les investissements en 2023 dans l'extraction, ces derniers ont tout de même augmenté de 10 % en moyenne, et de 60 % dans le lithium, tirées par le Canada et l'Australie mais aussi la Chine.
Des métaux hors de prix
« Derrière le terme de métal, c'est la ressource de minerai qui devient stratégique », résume Yves Jegourel, avec sans doute aussi l’OPA en cours du minier BHP sur Anglo American en tête.
« Depuis trois ans, nous vivons une fragmentation du monde. Dans ce jeu-là, face à une croissance mondiale relativement molle, l'appétit chinois pèse sur nombre d'importations. La Russie donne le ton sur le marché du blé. Partout, la tension s'accroît sur les ressources mondiales disponibles, du bois au biocarburant, dans une difficile équation intégrant impact climatique et nécessaire décarbonation », a ajouté Philippe Chalmin lors de la conférence de presse.
De 325 Md$ actuellement, soit la cote du seul minerai de fer, la valeur consolidée du marché des minéraux clés de la transition énergétique – cuivre, lithium, nickel, cobalt, graphite et terres rares –, devrait doubler pour atteindre 770 Md$ d'ici à 2040. À cet horizon, le cuivre atteindra à lui seul l’échelle de celle du minerai de fer actuellement.
« Je ne serai pas étonné de voir de plus en plus d'intérêt pour l'extraction du lithium parmi les majors pétrolières », a relevé de son côté Tim Gould, chef économiste de l'AIE. En annonçant des investissements dans ce sens, la texane ExxonMobil, leader mondial du jadis or noir, a foré la première.
Adeline Descamps