Avec un taux de ponctualité de 47,3 % observé en août, la fiabilité horaire des transporteurs calculée par l’indice de Kuehne+Nagel, qui file à la patte les navires, arrivées réelles et retards des navires compris, s'est améliorée de 1,3 % en août par rapport à juillet mais s’est largement détériorée par rapport au même mois de l’année 2023 (66,3 %). Il reste néanmoins globalement faible dans la mesure où moins d’un navire sur deux arrive à l’heure.
Les comparaisons ne sont pas toujours raison compte tenu du contexte volatile et éruptif dans lequel baigne le transport maritime, chaque année apportant son lot de basculements du marché et de perturbateurs géopolitiques. Mais la capacité des compagnies maritimes à respecter en 2024 leur programme de navigation est plus proche des terribles années de pandémie 2021-2022, exceptionnelles s’il en fut, que de la performance de l’année 2023 (moyenne de 64,37 %).
Avec un taux moyen de régularité de 47,6 % sur les huit premiers mois de l’année, les armateurs de porte-conteneurs auront été… constants dans leur incapacité à acheminer les marchandises au port dans les temps annoncés. C’est loin du score de l’année 2023 (64,66 %) enregistré sur la même période mais bien supérieur à l’année 2022 (38,9 %).
In fine, le retard moyen mensuel à l'arrivée est estimé à 3,9 jours en août et à 4 jours depuis le début de l’année. En 2023, il était de 3,6 jours mais de 4,7 et 5,1 jours en 2022 et 2021.
Usage du blank sailing pour limiter les retards
Au vu des circonstances, bien qu’à un faible niveau, le respect des horaires jusqu'à présent cette année passerait presque pour une performance. Le combo 2021-2022 avait été terrible du point de vue de ce paramètre, du fait du boom de la demande de transport généré par une consommation déportée des loisirs (restreints par le confinement) vers les biens marchands.
Les eaux ne sont pas plus tranquilles en 2024 avec l’exode massif d'une partie de la flotte mondiale de porte-conteneurs provoqué par les attaques en mer Rouge des rebelles houthis, associées à l'escalade des tensions au Moyen-Orient. La déviation, qui allonge la navigation de plus de dix jours entre Asie et Europe, expose les transporteurs aux retards même si nombre d'entre eux ont eu recours aux blank sailing pour maintenir un certain niveau de fiabilité.
Selon Kuehne+Nagel, les transporteurs ont annulé 8,6 % de leur capacité totale offerte sur le trade Asie-Europe du Nord en direction de l'Ouest durant le mois d’août et 7,8 % sur le transpacifique vers l'Est soit 26 blank sailing, dont 17 vers la côte ouest-américaine et neuf vers les ports de l’Est. Ce qui est étonnant par rapport au trafic record affiché par les ports américains durant l'été, en raison des effets d'anticipation à un mouvement social qui s'annonçait âpre et dur sur la côte Est.
Le transatlantique, la moins demandée des trois lignes Est-Ouest, a été moins impacté par les annulations avec, vers l’Ouest, moins de 5 % des 460 000 EVP alignés sur ce trade, soit trois départs ajournés. C’est aussi celui qui enregistre la plus nette amélioration (+ 6,8 % par rapport à juillet, soit 65,6 %) en termes de conformité aux Estimated time arrival (ETA). Sur cet itinéraire, les navires arrivent au port avec 3,2 jours de délais. Vers l’Est, où aucun service n’a subi de modification de programme, la ponctualité a gagné 9,1 % entre juillet et août, s’établissant à 67,6 %, avec un décalage de 3,3 jours sur l’ETA.
À l'inverse, les services se sont dégradés entre le nord et le sud du continent américain (-13,4 %) si bien que le taux de fiabilité n’est que de 43 %.
Un indice, des indices
Pas de stigmatisation chez Kuehne+Nagel qui ne classe pas nommément les transporteurs comme le fait le Danois Sea-Intelligence, dont le Global Liner Performance (GLP) couvre la fiabilité des horaires sur 34 routes maritimes empruntées par une soixantaine de transporteurs.
D’après ce relevé, Maersk a été, en août, le transporteur le plus régulier parmi les 13 leaders mondiaux avec une exactitude estimée à 54,7 %, suivi par Hapag-Lloyd, à 54,3 %. Huit autres transporteurs ont dépassé la barre des 50 % tandis que le Singapourien PIL reste le moins rigoureux avec un respect des horaires de 37,2 % (- 17,5 % en un an).
Parmi les neuf transporteurs en progrès, c’est le sud-coréen HMM qui s’est distingué (+ 7,4 %). En revanche, sur un an, six transporteurs ont enregistré des baisses à deux chiffres : MSC en tête (- 19 %) devant le Taïwanais Wan Hai (-18,8 %) et PIL (- 17,5 %). Mais Maersk (- 15 %) et CMA CGM (- 12 %) en font aussi partie.
Un contexte propice aux retards ?
Il faut replacer ces données dans leur contexte : il est frappant de noter que Maersk et Hapag-Lloyd, qui ont réalisé les meilleures performances sur ce critère, en ont précisément fait la spécificité revendiquée de leur nouvelle alliance baptisée Gemini qui garantit un respect des horaires supérieur à 90 %.
Pour ce faire, le nouveau partenariat repose sur un concept de hub & spoke, s'articulant autour d'un réseau de lignes principales, complété par des navettes, qui escaleront dans les hubs portuaires clés pour pouvoir y effectuer le transbordement. De fait, le réseau en étoile, tel qu’il est proposé, prévoit un nombre limité d'escales (300 touchés) dans des ports pivots quasi exclusivement sous leur contrôle de façon à en maîtriser la planification et à garantir leur productivité, d’où leur engagement d’horloger. Les navires mères n’escaleront plus dans certains ports (dont Le Havre), lesquels seront desservis par des « shuttle ».
Il faut par ailleurs noter que le transporteur qui affiche la grande altération de ses services est aussi celui qui aligne le plus de navires, facteur de risques supplémentaire. La flotte de MSC sur les trade transpacifiques et Asie-Europe aligne 733 000 EVP. Le leader mondial de la ligne régulière. Le leader mondial a encore lancé en juillet trois nouveaux services, les Mustang (Chine-Corée-côte ouest-américaine), Brittania et Liberty (Asie-côte est-américaine). Une fois leur flotte au complet, il sera en mesure de fournir 2,4 MEVP entre Asie et Amérique du Nord ainsi qu'entre Asie et Europe, soit presque l'équivalent de Maersk et de Hapag-Lloyd réunis (2,6 MEVP).
Impact à venir ?
Il reste à mesurer l’impact qu’aura eu la grève éclair – trois jours et cinq heures –, observée par les 25 000 dockers des ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique. Elle était promise à un avenir durable et incertain.
Il y avait, ce vendredi 4 octobre, quand les personnels ont repris le travail, 44 navires à décharger à l'entrée des ports touchés (selon Xeneta et Kuehne+Nagel) tandis que plus de 120 étaient en route (d'après Xeneta et Marine Benchmark). Dans un déluge de projections sur le prix à payer pour ce mouvement social à grande échelle, il avait été affirmé que chaque jour de grève ajouterait cinq à dix jours de congestion portuaire. La thrombose des ports et les retards de navires se disputent les faveurs d box office des perturbations en mer.
Adeline Descamps
* Kuehne+Nagel compare l'arrivée réelle avec ce que les transporteurs ont annoncé 14 jours plus tôt et utilise les données AIS (Automatic Identification System) pour identifier l'heure d'arrivée réelle. Sont considérés à l'heure tous navires arrivant au port de destination dans une fenêtre de plus ou moins 24 heures par rapport à ce qui était programmé.