Les eurodéputés, réunis en session plénière le 17 octobre, ont arrêté leur position sur le règlement maritime FuelEU qui doit servir de base aux négociations tripartites avec le Conseil de l’UE, l’instance représentative des États membres de l’UE et la Commission. La proposition de directive, qui vise à mettre fin à la dépendance du transport maritime vis-à-vis des combustibles fossiles, n’est qu’un des volets du paquet législatif Fit for 55, nom donné à la feuille de route climatique européenne présentée en juillet 2021 par la Commission pour réduire de 55 % par rapport à 1990 les émissions carbone au sein de l’UE.
Mais elle est l’une des quatre grandes propositions (le détail dans cet article) visant à réglementer les émissions polluantes du transport maritime. Les deux premières concernent les exploitants de navires (intégration du secteur maritime dans le système d’échange de quotas d’émissions SCEQE et FuelUE), la troisième s’adresse aux fournisseurs de combustibles et la dernière aux ports, ces derniers tenus de déployer les infrastructures adaptées pour permettre la connexion électrique à quai et l’avitaillement en GNL notamment.
Le projet de loi FuelUE cible spécifiquement les carburants dont l’intensité énergétique doit être réduite, par rapport à une base de référence de 2020, d’un pourcentage qui augmentera tous les cinq ans et jusqu’en 2050 (à partir de 2 % en 2025 pour parvenir à 75 % en 2050) tandis que les combustibles de soute seront taxés (dues par les fournisseurs de carburants). Il s’agit ainsi d’encourager l'adoption de carburants renouvelables à faible teneur en carbone, dont la pénétration devrait atteindre 9 % en 2030 et 88 % en 2050 selon le courtier Gibson, qui estime que la seule initiative FuelEU devrait coûter 89,7 Md€ à l'industrie du transport maritime.
Part exigée en carburants renouvelables
À la différence du transport aérien, l’UE a choisi en revanche de ne pas imposer de carburants spécifiques au maritime. Les armateurs seront donc libres d’utiliser les biocarburants, le GNL, l'ammoniac, l'hydrogène, le méthanol, l’électrique, les électro-carburants… Les biocarburants et le GNL sont pour l’instant largement plébiscités par les armateurs. Ce qui n’est pas sans créer du débat avec à la clé, des campagnes de dénigrement récurrentes contre le gaz naturel liquéfié, d’origine fossile, notamment orchestrées par des ONG environnementales, à l’instar de Transport & Environment (T&E). L’association, qui vient de commettre une nouvelle étude à charge contre le GNL, les considère comme des options de conformité non seulement moins-disant mais surtout moins pertinentes par rapport aux objectifs recherchés dans la mesure où le carburant dit de transition ne traite que très partiellement la question du carbone (20 à 30 %)
Durant la session du 17 octobre, les députés européens devaient se mettre d’accord sur la part exigée des carburants renouvelables d'origine non biologique (RFNBO). C’est en langage technocratique ce qui est appelé « un sous-quota » et il est attendu du législateur qu’il donne un coup d’envoi par le biais d’un « mandat » de façon à débloquer les investissements du marché.
Opération de la dernière chance
Les parlementaires ont fixé un objectif de 2 % de RFNBO d'ici 2030 et imposé aux porte-conteneurs et aux navires à passagers le branchement électrique à quai dans les principaux ports de l'UE à partir de 2030.
Mais les eurodéputés n’ont pas toujours pas annoncé d'objectif de réduction des gaz à effet de serre (GES) de 100 % en 2050, ce qui aurait pour effet d'éliminer progressivement tous les carburants émetteurs de gaz à effet de serre, soutiennent les ONG environnementales qui ont le GNL dans le collimateur.
Les plus radicaux des parlementaires, du point de vue climatique, avaient fait de ce rendez-vous une opération de la dernière chance pour intégrer dans la législation des dispositions clés susceptibles de favoriser l'adoption des carburants totalement décarbonés nouvelle génération et d’éradiquer la présence des combustibles fossiles.
ESCA : « garantir l’accès aux nouveaux carburants dans les ports »
« Il faut en faire davantage pour faciliter la transition énergétique et la décarbonation de l'industrie », a réagi l’ECSA, l’association des armateurs européens dans un communiqué, qui crante deux mesures : l'affectation des recettes du SCEQE et du FuelEU au secteur ainsi que l'obligation pour les fournisseurs de carburant de mettre à disposition des carburants verts. Une étude récente réalisée pour la coalition Getting to Zero tend à montrer qu’il est possible d’atteindre 5 % des carburants à émission zéro d'ici 2030 en Europe en utilisant environ 15 à 20 % des recettes du SCEQE.
Il y a quelques jours, l’ECSA s’est associée à une initiative commune d’une dizaine d’organisations pour demander que les recettes tirées des quotas carbone abondent un fonds de décarbonation de façon à accélérer la R&D des carburants de rupture qu’exigera la révolution de la propulsion et dont le secteur ne pourra pas faire l’économie, estiment-ils. Il s’agit aussi de financer, par des incitations financières ou autres initiatives, le différentiel de coût et de prix avec les carburants propres.
« Le vote de ce jour est un pas dans la bonne direction car il introduit la notion de responsabilité du fournisseur lorsque des accords contractuels existent entre un fournisseur de carburant et une compagnie maritime. Cependant, il faut faire davantage pour s'assurer que des quantités suffisantes de carburants verts soient mises à disposition dans les ports européens. Garantir l'accès à des carburants propres à prix abordables est un défi majeur pour la décarbonation du transport maritime », explique Sotiris Raptis, secrétaire général de l'ECSA, qui salue par ailleurs l’approche pragmatique du Parlement sur l'approvisionnement à terre.
Les armateurs craignaient de se voir infliger une pénalité sur les navires dérogeant à l’obligation alors même que l'infrastructure d’avitaillement n'est pas disponible dans le port. Il reviendra à la Commission de s’assurer de la disponibilité et de la quantité de carburants à faible et à zéro émission de carbone dans les ports européens.
T&E : « C'est le début de la fin pour les combustibles fossiles dans le secteur du transport maritime en Europe »
T&E, qui avait appelé l'UE à porter la part de carburants verts à au moins 6 % en 2035, soutenu en cela par 50 associations et ONG et de grands chargeurs comme Unilever, Siemens et Alstom, se félicite de cette « première mesure au monde visant à décarboner les carburants de transport maritime », mais l’estime insuffisante pour un niveau d'émissions nul.
« C'est le début de la fin pour les combustibles fossiles dans le secteur du transport maritime en Europe. Cette mesure donnera un coup de fouet à la production de carburants à base d'hydrogène en offrant une sécurité d'investissement aux fournisseurs de carburants. Mais 2 % ne suffiront pas si nous voulons nous tenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C », indique Delphine Gozillon, responsable du transport maritime durable chez T&E.Si la décision réduit la durée de vie du GNL en tant qu'option de conformité « elle ne suffira pas à stopper le passage inquiétant du transport maritime au GNL », déplore-t-elle.
Amendement sur la propulsion vélique écarté
Pierre Karleskind, eurodéputé français (groupe Renew Europe, Renaissance), membre de la commission transport du Parlement européen, qui a publié il y a quelques jours une tribune commise avec trois de ses pairs pour appeler à beaucoup d’ambitions, se montre déçu. Il estime que le Parlement est passé à côté du principal objectif du texte qui aurait dû être le développement des carburants renouvelables et bas carbone. « À ce stade, la position du Parlement européen n’apporte rien par rapport à ce que l’OMI a déjà mis sur la table, c’est un coup d’épée dans l’eau ! »
Dans sa tribune, les quatre signataires demandaient de mettre le cap sur les carburants synthétiques renouvelables, d’inclure les vraquiers et les pétroliers et de cibler 100 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. « Les socialistes n’ont pas été au rendez-vous et se sont alliés avec la droite européenne pour rejeter ces amendements », déplore-t-il.
Pierre Karleskind avait aussi déposé un amendement en faveur du développement de la propulsion vélique, « solution verte et industriellement mature en France et en Europe », qui a été rejeté. « Je continuerai mon combat pour la reconnaissance de la propulsion vélique comme technologie majeure de décarbonation du transport maritime en soutenant la position du Conseil qui est plus ambitieuse », explique-t-il, contraint d’attendre désormais la révision du texte prévue en 2027 « pour remettre sur la table les options écartées ».
Une myriade d’exemptions
Ciarán Cuffé, député européen irlandais affilié aux Verts/ALE au Parlement européen et Jutta Paulus, sa collègue allemande, ne mâchent pas non plus leur amertume. « Des objectifs peu ambitieux, peu d'incitations et une myriade d'exemptions ont réduit à néant le potentiel de FuelEU Maritime pour donner le coup d'envoi de la décarbonation d'un secteur historiquement sous-réglementé, cinglent-ils. Le transport maritime n'aura pas besoin de travailler dur pour se décarboner ou innover. »
Estimant que l’UE devait établir, avec ce rendez-vous, une norme mondiale pour le secteur qu’il revenait à l'Organisation maritime internationale d’imposer mais sur laquelle elle est en défaut, les deux députés constatent l’échec sur de nombreux points.
Les deux députés militaient aussi pour que la part des carburants totalement décarbonés soit portée à 6 % a minima sachant que le point de vue climatique exigerait les 12 % (pour permettre une décarbonation complète d'ici 2050).
Plus les objectifs auraient été élevés, soutiennent-ils, plus le marché aurait été encouragé à enclencher la production, la distribution et le déploiement à l'échelle des technologies de rupture. Lorsque les carburants verts arriveront sur le marché, ils seront en effet inévitablement rares et coûteux.
Adeline Descamps