Bruxelles a actualisé la liste des chantiers de recyclage conformes aux normes sociales et environnementales de démantèlement, qui impose depuis 2019 à tous les navires de haute mer battant pavillon d'un État membre de l'UE de recourir à une entreprise figurant sur la liste européenne. C'est la garantie, soutient Bruxelles, qu'un certain nombre d'exigences sur le plan de l’environnement et de la sécurité soit respecté. Ils revient aux autorités des pays membres de s'en assurer quand il s’agit de pays tiers.
Le règlement européen a pris une autre dimension avec la feuille de route climatique de l’UE (Green Deal) qui fait de l'économie circulaire un de ses éléments constitutifs et rend nécessaire de garder des ressources rares, comme l'acier, à l'intérieur des frontières de l'UE.
Deux chantiers turcs éjectés
Deux chantiers situés en Turquie (Işıksan et Simsekler), dans la région d‘Aliaga qui s’est imposée ces derniers temps sur ce marché, ont perdu leur sésame, le premier parce qu’un certain nombre de navires destinés à y être recyclés ont finalement été démantelés dans des installations voisines ne figurant pas dans la liste européenne, le second parce que deux accidents mortels y sont survenus en février 2021 et en juin 2022 pour lesquels l’organisation de l’entreprise est en cause.
L’eurodéputé français, Pierre Karleskind, avait alerté la Commission européenne en juin dernier à ce propos. « Nous ne pouvons pas imposer des normes aux chantiers navals européens et fermer les yeux sur les pratiques des autres », réagit-il aujourd’hui.
Quatre sites en France listés
En revanche, la Commission a ajouté un chantier situé en Bulgarie (Ship and Industrial Service) et a renouvelé la licence à deux entreprises, l’une française (Démonaval Recycling) et l’autre, lituanienne (UAB rmar), dont les agréments étaient parvenus à échéance (depuis le 19 avril pour la première et le 11 décembre pour la seconde).
La liste européenne, dominée par des chantiers néerlandais et norvégiens, comprend désormais 45 installations de recyclage de navires, dont 38 en Europe (UE, Norvège et Royaume-Uni), six en Turquie et un aux États-Unis.
La France est représentée par quatre installations : outre Démonaval Recycling (Le Trait en Seine maritime), Recycleurs bretons – Navaleo (Guipavas dans le Finistère), le Grand port Maritime de Bordeaux et Gardet & de Bezenac (Le Havre).
Depuis le Brexit, le Royaume-Uni tient « sa propre liste » et elle comprend notamment trois noms qui ne figurent pas sur celle de l'UE : Able UK et Swansea Drydocks (qui ont été autorisés un temps par Bruxelles) et Inchgreen Dry Dock.
Une offre supérieure à la demande
Dans sa dernière version, en date du 28 avril 2022 et publiée au Journal officiel de l'UE le 2 mai, la liste européenne comprenait 46 installations agréées. Parmi les demandes déposées – Bahreïn (1), Chine (4), sachant que Pékin a interdit l'importation de navires battant pavillon étranger à des fins de recyclage, ce qui a suspendu les inspections, Inde (27), Turquie (16), États-Unis (2) et Royaume-Uni (3) –, seules huit entreprises en Turquie, une sur le continent américain et deux au Royaume-Uni avaient été alors acceptées.
« Dans l'ensemble, la capacité de recyclage des chantiers figurant sur la liste européenne est encore plusieurs fois supérieure à la demande et plusieurs chantiers de la liste européenne sont également capables de recycler de grands navires ». La remarque de Bruxelles ne relève pas en l’occurrence de l’élément de langage. C’est un sujet de discorde permanent avec les armateurs européens.
Ces derniers possèdent environ 40 % de la flotte mondiale mais nombre de leurs navires sont démantelés, quasi exclusivement en Asie du Sud, dans des conditions loin des standards européens.
583 navires démantelés en Asie, 37 en Europe
L’an dernier, plus de 750 navires marchands et unités flottantes offshore ont été vendus pour démantèlement dont 583 ont fini en Asie du Sud-Est, dans la baie d’Alang en, les plages de Chittagong au Bangladesh et de Gadani au Pakistan, des trois destinations qui s’imposent depuis des années pour la quasi-totalité du tonnage brut démantelé dans le monde. En comparaison, l’Europe en a traité 37.
En 2021, une quinzaine de personnes ont perdu la vie en Asie du Sud-est et 34 autres ont été gravement blessées, selon Shipbreaking Platform, une ONG qui référence chaque année les pratiques au regard des réglementations en vigueur.
Extension de la liste
Les armateurs ont toujours soutenu, via leur instance de représentation européenne (ECSA) mais aussi internationale (Bimco), que les seuls chantiers européens ne seraient pas suffisants pour assurer le démantèlement des navires, mentionnant leur faible disponibilité (car concentrées sur les activités plus rentables de la réparation navale et/ou sur des niches comme les travaux offshore) et une problématique de capacités.
Les exploitants et propriétaires de flotte militent, pour cette raison, en faveur d’une extension de la liste « européenne » à des sites extra-communautaires dès lors qu’ils se conforment aux exigences. Or, les différents audits réalisés en 2019 et 2020 par les inspecteurs européens n’ont pas été probants.
En attentant la ratification de la convention internationale
Pour les associations représentant les armateurs, l’entrée en vigueur de la Convention internationale de Hong Kong, qui réglementerait et encadrerait le recyclage, est la clé. Mais si le texte, rédigé sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, est ouvert à la signature depuis le 1er septembre 2009, il n’est toujours pas entré en vigueur, faute du quorum de ratification atteint, fixé à 15 États et au moins 40 % de la flotte mondiale de navires marchands.
Et cette ratification semble menacée en raison du peu de navires envoyés à la casse ces dix dernières années. « Si la Chine ne ratifie pas la convention d'ici mai 2023, il faudra s’appuyer sur le Bangladesh. Même dans ce cas, la ratification doit intervenir avant 2026 en raison des faibles niveaux de recyclage prévus de 2016 à 2026 », indique le Bimco, qui a publié en octobre la troisième édition d’un rapport sur le sujet.
Des pratiques peu scrupuleuses
Si les règles existent, elles sont facilement contournables, continue de dénoncer l’ONG Shipbreaking Platform, pointant les pratiques d’acheteurs au comptant peu scrupuleux qui les rebaptisent, réenregistrent et dépavillonnent pour les envoyer en Asie « car c’est là qu’ils vont réaliser le plus grand profit ». Près de la moitié des navires vendus à l'Asie du Sud en 2021 auraient ainsi changé de registre pour adopter des pavillons figurant sur la liste noire du MoU, particulièrement populaires auprès de certains « grâce à leur mauvaise application du droit maritime international ».
Parmi ces changements de pavillon in extremis, dix-sept étaient censés être assujettis au règlement européen sur le recyclage des navires. En outre, une vingtaine de navires ont été vendus en violation de la Convention de Bâle qui, elle, interdit l'exportation de déchets dangereux (les navires sont considérés comme tels en raison de la présence d’amiante, de métaux lourds, d’hydrocarbures…) vers des pays non-membres de l'OCDE.
Évaluation du règlement en cours
L'évaluation du règlement de l'UE sur le recyclage des navires, tout comme la proposition d'un nouveau règlement sur les transferts de déchets, sont à l’agenda européen.
À la suite de son appel à contribution clôturée en juin, qui a suscité des soumissions de l'ICS/ECSA (chambre internationale de la marine marchande/armateur européens), de l'ISRA (The International Ship Recycling Association), de Shipbreaking Platform, de l'IACS (Association internationale des sociétés de classification), une période de consultation publique est prévue au cours du premier trimestre de 2023 en vue d’éventuels ajustements par la Commission.
Adeline Descamps